Extrait du ONESHOT MAGAZINE N°4, interview du Docteur Anne Borgne, médecin Addictologue.
Le Docteur Anne Borgne, médecin addictologue, travaille dans un Centre de soins, d’accompagnement et de la prévention des addictions (CSAPA) à Villeneuve-la-Garenne dans le 92. Également Présidente du RESPADD (Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions), elle est engagée dans la lutte contre le tabagisme et convaincue par l’outil vape. Anne répond aujourd’hui aux questions de Oneshot Magazine.
Par Florent Biriotti
Interview Docteur Anne Borgne, Oneshot Magazine #4
– Bonjour Anne, allons-y franchement : est-ce que tu recommandes la vape à tes patients ?
Je recommande toujours la vape à mes patients. C’est une stratégie parmi les différents outils pour les fumeurs qui ont besoin d’aide.
– Comment l’intègres-tu dans le cadre de tes consultations et interventions auprès de patients au CSAPA ?
J’en parle systématiquement aux fumeurs, même quand on n’évoque pas cette question naturellement. J’aborde le sujet bien sûr avec les fumeurs qui se présentent pour une consultation de tabacologie pour arrêter de fumer, mais aussi avec les usagers de substances addictives autres, alcool ou drogue, qui sont dans 80 % des cas aussi fumeurs. Dès le début de la relation, je vais évoquer le tabac avec eux, et parmi les stratégies, leur proposer l’utilisation de la vape. Avec ce public, l’outil non médicalisé qu’est la vape a de bons taux de succès, notamment parce que je ne fais pas d’ordonnance. On leur présente le fonctionnement avec le matériel que nous possédons ; ils testent différents liquides, ils s’approprient la vape facilement en remplaçant leur cigarette par un substitut plaisir, pas par un médicament. On les fait tester avec le matériel que nous mettons à disposition, c’est ludique et non contraignant. Pour les patients qui ne sont pas venus pour cette addiction, c’est une première étape qui leur donne confiance en eux. L’envie est plus grande que pour les outils médicaux qu’on utilisait avant la vape.
Tous les premiers lundis du mois, nous animons une réunion de groupe pour répondre aux questions souvent liées à l’utilisation de leur vape. Nous avons créé le groupe avec La Vape du Cœur et nous le gérons dorénavant à trois professionnels : Pierre, éducateur spécialisé, Amélie qui est infirmière et moi. Amélie et Pierre sont tous deux vapoteurs et nous avons tous les trois reçu la formation Vape-expert du RESPADD. Nous avons reçu des dons de liquides et avons réussi à financer un petit stock de matériel de vape. Nous équipons les plus démunis, les autres sont invités à se rendre en boutique physique. Je leur dis toujours que si le vendeur en magasin prend le temps avec eux pour découvrir le bon liquide, le bon matériel, c’est que c’est une bonne boutique, investie.
– Quels impacts et résultats constates-tu suite au fil de ces réunions ?
Nous avons des usagers qui viennent à ces réunions depuis trois ans et demi ! Peut-être pour certains viennent-ils chercher leurs liquides gratuitement, mais plus que ça, je crois que la plupart apprécient vraiment ce moment. Il se met en place une entraide entre ceux qui connaissent bien et ceux qui débutent. Le succès est encore plus grand comme ça.
– Quels impacts et résultats constates-tu suite au fil de ces réunions ?
Nous avons des usagers qui viennent à ces réunions depuis trois ans et demi ! Peut-être pour certains viennent-ils chercher leurs liquides gratuitement, mais plus que ça, je crois que la plupart apprécient vraiment ce moment. Il se met en place une entraide entre ceux qui connaissent bien et ceux qui débutent. Le succès est encore plus grand comme ça.
– Comment suivre les résultats de ces actions ?
On suit chaque usager individuellement. Nous répertorions dans un fichier le profil addictif du patient, le nombre de cigarettes qu’il fume chaque jour, les substituts ou produits de vape délivrés, le taux de nicotine du e-liquide, le taux de monoxyde de carbone. À chaque séance on monitore toutes ces données et on évalue un niveau de satisfaction sur la vape entre 0 et 10.
– En 2020 la vape est-elle prise au sérieux au sein du corps médical ?
Je ne connais pas l’avis de l’ordre des médecins, par contre les autorités de la santé, ARS et le Ministère de la Santé sont encore extrêmement prudents au sujet de la vape. Il y a bien sûr des messages positifs, Agnès Buzyn qui s’est positionnée un peu plus en faveur de la vape. Santé publique France qui a enfin, en 2019, inscrit dans ses actions le vapotage et propose dans ses outils une page sur la cigarette électronique, des spots publicitaires dans lesquels j’ai participé d’ailleurs sur de grands médias télévisés. En 2018 il n’était pas question de parler de vape dans les actions télévisées contre le tabac.
– Comment son image auprès des médecins peut s’améliorer ?
C’est en train de se passer. La Fédération Addictions ainsi que le RESPADD organisent des formations sur la vape pour les professionnels de santé. J’ai formé deux groupes de vingt professionnels pour la préparation du Mois sans tabac cette année. C’est comme ça que l’on va arriver progressivement à ce que cela devienne un outil utilisé par tous, en ne tombant pas dans le piège que cela devienne un outil de professionnel de santé. La vape ne doit pas devenir un traitement, par contre cela doit être une stratégie d’aide à l’arrêt, pour tout le monde, dont les professionnels de santé, les structures qui aident à arrêter le tabac (sites, groupes Facebook, applications…). Tout le monde doit savoir présenter la vape, la défendre, l’expliquer et donner envie aux fumeurs de l’essayer, s’ils ont envie.
– Peut-on déconseiller la vape ?
À un fumeur ? Dans aucun cas.
– Est-ce que la vape est nocive ?
Probablement oui, à quelle hauteur ? Je ne sais pas, mais infiniment moins que le tabac. Comme on s’adresse à des fumeurs, il faut les inciter à vaper !
– Que peux-tu nous dire du CBD ?
Mon avis sur le CBD est en train d’évoluer. Il en existe différentes utilisations. Une d’entre elles notamment est à usage thérapeutique dans un cadre légalisé dans les centres antidouleur et les centres qui traitent certaines pathologies. Cela arrivera très prochainement, car les députés l’ont déjà voté. La prise en charge concernera certaines indications sur certaines maladies.
J’avais dans l’idée que le CBD pouvait permettre, par le biais de la vape, d’aider au sevrage du cannabis en étant une substitution. Mais j’ai appris par la suite que le CBD n’agissait pas sur les mêmes récepteurs cannabinoïdes que le THC, donc cela ne peut pas être un substitut au THC. On ne connaît pas non plus le potentiel addictif du CBD et sur sa toxicité en interaction avec certains médicaments.
Du coup je suis plus prudente et j’aimerais que l’on en sache un peu plus avant de le banaliser.
– Quel avenir pour la vape dans cette nouvelle décennie ?
Je pense que l’on est parti pour une extension de l’utilisation de la vape. On a levé de nombreux freins. Il va falloir y aller doucement avec les autorités de santé, mais on va y arriver, car nous sommes quand même un certain nombre à participer à des réunions où l’on rencontre des gens assez haut placés au Ministère de la Santé, qui sont en capacité de nous écouter. Il faut laisser l’administration aller à son rythme parce que si on la brusque, elle fait demi-tour et ferme la porte.
On a de plus en plus de publications, de connaissances, de matériels sécurisés. Toute la sécurité qui a été faite en France autour de la vape l’a sauvée, quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays. Elle est aussi encadrée par des gens raisonnables : les boutiques qui ont compris qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi, les associations, les militants (Vap’you, Aiduce…), même les médias. Il y a 4 ans dans les médias, on me faisait intervenir sur la vape, je devais défendre un truc qui était en danger. Maintenant c’est pour donner de l’information.
On voit de plus en plus de gens vaper dans la rue et cela me fait extrêmement plaisir, car ils vapent et ne fument pas !
On sait que tu es très calée en vape malgré ce que tu nous diras, on te propose un petit jeu. Go.
Merci au Docteur Anne Borgne pour sa disponibilité et son travail sur la vape.
Si l’interview du Docteur Anne Borgne, vous a intéressé, retrouvez le question au doc’ du magazine précédent ici.
Pour en savoir plus sur le docteur Anne Borgne, une vidéo ici.