À l’occasion du mois sans tabac, nous avons rencontré le Dr Christophe Cutarella, psychiatre, addictologue, tabacologue, et membre du comité scientifique de la Fondation Ramsay Santé, pour recueillir son avis sur la vape.
Questions au Doc : Par Laure Dansart
“La vape est le meilleur moyen d’arrêter de fumer”
Oneshot : Certains disent que la vape ne fait pas l’objet d’assez d’études, et que l’on ne dispose pas du recul nécessaire pour en analyser tous les potentiels dangers.
Dr Cutarella : D’abord, ce n’est pas une histoire récente. Dans l’histoire de la tabacologie, on note que la demande de 1er brevet déposée pour la cigarette électronique date de 1960. Et la 1re commercialisation a été faite par un pharmacien chinois en 2004. Même s’il y a eu des évolutions depuis, il existe donc des études sur le sujet depuis plus de 50 ans. Et toutes disent la même chose : on considère que vaper représente 95 % de risques en moins que fumer une cigarette. Et on estime, de manière proportionnelle, qu’une journée de cigarette équivaut à 100 jours de cigarette électronique.
On impute souvent à la cigarette électronique de devenir la « sucette » de l’ancien fumeur, qui la garderait ainsi toujours avec lui à vaper sans cesse.
Le fait de vaper avec des liquides contenant de la nicotine répond à un besoin addictif. Il faut donc dans un 1er temps bien choisir, comme dans tout traitement de substitution, la dose la plus adaptée à notre taux de dépendance physique. Cela implique donc une analyse et réflexion tabacologique sur mesure, puis un ajustement de la dose au fur et à mesure. Cela ne s’improvise pas et ce n’est pas du commerce, c’est de la tabacologie purement et simplement ! Le choix de la résistance a également un rôle. Pour moi, les dispositifs à basse résistance sont à recommander, car ils vont délivrer la nicotine de façon plus progressive, ce qui est moins addictif. C’est ce mode qu’il faut privilégier pour un sevrage en souplesse. Le but est de s’éloigner du pic de nicotine comme délivré par une cigarette. Enfin, il est important de rappeler que si vous portez la cigarette électronique à votre bouche pour tirer dessus cela va en devenir une habitude. La dépendance s’inscrit aussi dans le domaine comportemental et nous devons y prêter une attention particulière. Comparée à la cigarette, la vape ne serait pas du tout addictive, encore faut-il l’utiliser comme un dispositif alternatif et avec un taux de nicotine adapté à votre taux de dépendance.
“Ce qui est le plus dangereux dans le fait de fumer des cigarettes, ce n’est pas tant le nombre de cigarettes fumées que la durée de consommation. Une cigarette fumée par jour comporte seulement moitié moins de risques que si l’on en fume 20 par jour. Il est moins dangereux de fumer un paquet par jour pendant un an qu’une cigarette par jour pendant 10 ans !“
La vape est donc fortement recommandée pour les fumeurs en rédemption…
Clairement la réponse est oui, car il s’agit d’un dispositif qui aide à se passer de la cigarette. Ce n’est pas un médicament : c’est un autre moyen de consommer, mais avec beaucoup moins de risques. Bon nombre de fumeurs sont passés à la vape et ne fument plus de cigarettes du tout. Et c’est une réussite, si l’on considère que le but est d’arrêter toute intoxication tabagique… La vape est un outil incontournable (mais pas unique) du futur ex-fumeur. Pour ma part, elle présente un double intérêt : d’un côté elle peut accompagner certains fumeurs vers le sevrage et de l’autre, c’est un merveilleux dispositif alternatif permettant de réduire considérablement les risques liés au tabagisme.
Vous évoquiez 95 % de risques en moins pour les vapoteurs que les fumeurs…
Utiliser la vape n’est pas anodin non plus, même si on la préférera toujours à une cigarette qui rend dépendant et qui tue, ou encore à du tabac chauffé qui lui tue un peu moins, mais rend hautement dépendant. Quand je parle de réduction des risques, cela implique que c’est une réduction du risque pour la personne qui ne souhaite pas changer. Mon objectif, en tant que psychiatre, addictologue et tabacologue, est de libérer les personnes de leur addiction. Et pour celles qui souhaitent s’en débarrasser, la cigarette électronique reste le meilleur moyen, autant que les patchs. Si on souhaite une réelle rééducation et libération, la cigarette électronique est une première étape. Pour arrêter totalement, je tiens à souligner l’importance du travail d’accompagnement psychothérapeutique qui à mon sens est capital et doit être réalisé par des professionnels formés et expérimentés.
En tant que professionnel de santé, vous n’avez donc pas peur de la vape ?
Non, car ce qu’il y a de dangereux, ce n’est pas la nicotine, mais les produits qui peuvent composer la cigarette électronique. Les décès que l’on a imputés à la cigarette électronique aux États-Unis en septembre dernier ont été, après plusieurs jours d’investigation, liés à l’inhalation par vapotage de produits illicites contenant du THC, achetés sur le marché noir… Il faut donc veiller à acheter des liquides aux normes européennes et bien faire attention sa composition. La vape, c’est un autre moyen de consommer de la nicotine, mais avec beaucoup moins de risques. Après, et je le répète, il ne faut pas oublier que mon but est d’amener le patient à son propre objectif. Lequel peut évoluer au cours de l’accompagnement.
On préconise aux femmes enceintes qui fument et n’arrivent pas à arrêter de privilégier l’apport nicotinique sous forme de patch ou de vape plutôt que de fumer des cigarettes. Quel est votre avis sur le sujet ?
Je suis d’accord avec cette position. La cigarette électronique est bien moins nocive. Il faut néanmoins souligner qu’il n’y a pas de preuve de l’innocuité totale de la nicotine sur le fœtus. Le mieux, c’est bien sûr de ne plus fumer, mais si la future maman n’y arrive pas, alors il est préférable de passer par le patch ou la cigarette électronique. Car comme je le disais, la cigarette électronique représente 95 % de risques en moins, mais pas 100 !
“La vape, c’est un autre moyen de consommer de la nicotine, mais avec beaucoup moins de risques.“
D’où vient l’addiction ? Si certaines personnes peuvent consommer un verre de vin ou une cigarette de temps en temps, chez d’autres, la consommation de ce type de produit enclenche une addiction presque immédiate. Pourquoi certaines personnes sont-elles plus enclines à devenir « addict » ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, il existe des prédispositions génétiques. Nous ne naissons pas tous égaux face à l’addiction. Il faut aussi évoquer la personnalité : certains auront toujours tendance à être dans l’excès dans ce qu’ils font, que ce soit en faisant du sport ou au travail, ceux que l’on appelle les workaholic ou sportalcoholic. Il ne faut pas négliger également les éléments de vie, qu’ils soient anciens – les personnes ayant vécu des drames et des traumas sont surreprésentées en consultation – ou récents, comme un deuil ou un divorce. Et enfin l’aspect environnemental : il y a plus de risques de devenir fumeur si l’entourage familial fume. Mais l’addiction ne vient jamais de manière quasi immédiate, elle met souvent beaucoup de temps à s’installer.
Que pensez-vous des études diabolisant la cigarette électronique ? Je ne sais pas de quelles études vous parlez, car je n’en ai pas connaissance. Il faut faire attention aux idées reçues largement véhiculées auprès du grand public, notamment par la presse généraliste. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le rôle des lobbys. Et si le lobby viticole est important, celui de l’industrie cigarettière l’est tout autant. Par exemple, un fabricant de cigarettes (Philipp Morris pour ne pas le citer…) promeut aujourd’hui dans plusieurs pays d’Europe son concept de tabac chauffé, avec une nocivité infime selon lui. Il ne recherche en réalité que de nouvelles cibles pour compenser, on s’en doute, la diminution de la consommation de cigarettes.
Pour suivre le travail du Dr Cutarella : http://christophecutarella.com
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