Dans Tais-toi et fume, épisode 2, Oneshot Media passe en revue les politiques antitabac à l’œuvre en Europe et dans le monde d’aujourd’hui. Des stratégies littéralement à l’opposé de la méthode suédoise. Loin de ce que l’on souhaiterait voir dans le meilleur des mondes.
Sorti le 21 septembre 2024 sur YouTube | 29min 04s | Reportage
De Rémi Duff et David Hanin
Une production Oneshot Media, en collaboration avec la chaîne Origines
Avec Clive Bates, John Dunne, Anne Borgne, Antoine Flahault, Philippe Grunberg, William Lowenstein
Après la méthode suédoise…
Dans le premier épisode de cette saga, nous nous demandions pourquoi, au sein de l’Union européenne, la Suède était le seul pays avec une aussi faible prévalence tabagique : environ 10 millions d’habitants, et seulement 5 % de fumeurs.
Une réussite due notamment au fait que le pays est le seul à avoir conservé une alternative interdite partout ailleurs : le snus. Mais aussi à l’arrivée des sachets “pouches” de nicotine comme des produits du vapotage. Pourtant, la Suède reste une exception.
En Europe, c’est la douche froide : environ 24 % de la population fume et, chaque année, on continue de dénombrer pas moins de 700 000 décès.
Une véritable catastrophe sanitaire qui pose question : l’Europe se donne-t-elle vraiment les moyens de lutter efficacement contre le tabagisme ?
Pour répondre à cette question, nous avons recueilli le témoignage de nombreux experts. Dans Tais-toi et fume 2, nous rencontrons des professionnels de santé français, mais également deux spécialistes britanniques. Car, malgré le Brexit, le Royaume-Uni est souvent cité pour sa politique antitabac fructueuse, qui lui a permis d’atteindre une prévalence tabagique d’environ 15 %.
En guerre contre la nicotine
Progressivement, l’Europe a fait évoluer son combat contre le tabagisme pour englober tout autre produit à la nicotine. Depuis la Directive européenne des Produits du Tabac, ou Tobacco Products Directive (TPD) de 2014, les produits du vapotage ont ainsi été encadrés sous la même loi que celle des produits du tabac à fumer (1).
L’objectif : prendre ce que l’on considère être à l’origine du mal (la nicotine) à la racine, afin d’en éradiquer la consommation.
Le problème : c’est moins la nicotine qui devrait poser problème que le fait de fumer. Car c’est bien la combustion la responsable des décès et maladies liés au tabagisme.
« Le problème de la nicotine n’en est pas un. Il faut arrêter de voir dans l’addiction à la nicotine un très grand problème de santé publique. Ce n’est pas le cas. Je ne connais pas de collègues qui luttent contre la caféine ou la théine »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Si la nicotine est effectivement une substance addictive, présente naturellement dans la feuille de tabac, elle n’est ni toxique aux doses inhalées dans une cigarette ou une e-cigarette ni cancérigène. C’est un fait scientifique avéré, qui trouve notamment sa plus belle preuve dans le cas suédois.
Dans le pays, 10 % environ de la population consomme de la nicotine autrement que par la cigarette de tabac fumé. Elle représente ainsi aujourd’hui plus du double des personnes fumeuses. Et pourtant, de tout l’OCDE, la Suède enregistre les plus bas taux de cancers et de décès liés au tabagisme.
« C’est l’objectif principal de la réduction des méfaits du tabac : changer la façon dont les gens utilisent la nicotine pour la rendre beaucoup plus sûre »
– Clive Bates, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Comme la caféine, la nicotine est un stimulant. Ses effets sur la fréquence cardiaque, les artères ou les veines est donc assez similaire. Est-ce donc à dire que le café représente lui aussi un problème de santé majeur et devrait être plus strictement encadré voire complètement prohibé ?
Certes non. Car, contrairement à la caféine ou à d’autres stimulants, la nicotine est depuis longtemps victime d’une désinformation qui légitime de futures actions de répression à son encontre.
« On en arrive alors à ce que beaucoup de gens pensent par exemple que vapoter est tout aussi mauvais, voire pire, que de fumer. Ce qui n’est absolument pas le cas. Et je pense que ce que le grand public ne comprend pas non plus, c’est que la nicotine contenue dans les gommes et les patchs est exactement la même nicotine que celle d’une cigarette électronique ou d’un sachet de nicotine… »
– John Dunne, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Comment expliquer, par exemple, que les patchs de nicotine soient même autorisés chez la femme enceinte si la nicotine était véritablement le cœur du problème ?
En souhaitant traiter tout produit à la nicotine, hors substituts nicotiniques, comme des produits du tabac fumé, l’Europe se fourvoie donc complètement.
« Le message principal que l’on pourrait donner à toutes et tous c’est : ce n’est pas le tabac en lui-même qui tue. Mais la combustion »
– Pr William Lowenstein, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Malheureusement, des polémiques comme celui du vapotage chez les jeunes, via les fameuses cigarettes électroniques jetables “puffs” ont raison de tout autre argument dans l’opinion publique. Car on touche ici à une peur fondée sur l’émotionnel.
Le vapotage chez les jeunes
En 2024, impossible de parler du vapotage sans parler de son utilisation grandissante chez les jeunes. D’après Loïc Josseran, président de l’Alliance Contre le Tabac (ACT), on vivrait l’un des premiers scandales de l’histoire, avec des dispositifs nés pour faire entrer la jeunesse, et particulièrement les plus jeunes et les non-fumeurs, dans le tabagisme.
« Les puffs sont très clairement une porte d’entrée vers le tabagisme et non une porte de sortie. Cette porte d’entrée vers le tabac, elle se fait chez les jeunes qui, au préalable, n’ont jamais fumé ni été en contact avec la nicotine. Et cela a été montré à plusieurs reprises »
– Loïc Josseran, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
C’est le fameux mythe de l’effet passerelle (2), repris systématiquement dans tous les médias et par tous les politiciens depuis.
En réalité, à ce jour, aucune étude n’a réussi à démontrer l’existence d’un tel lien entre vapotage et tabagisme. Au contraire, l’écrasante majorité d’entre elles concluent bien de l’effet inverse : vapoter ne conduit pas à fumer, mais à arrêter de fumer ou à retarder drastiquement l’entrée d’un jeune dans le tabagisme.
« Les dernières enquêtes ESCAPAD de l’OFDT montrent que le tabagisme des jeunes diminue très fortement et que, parallèlement ils vapent. Donc, on peut quand même se dire s’ils fument moins, c’est sans doute parce qu’ils vapent »
– Dr Anne Borgne, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Partout où le vapotage chez les jeunes a été étudié, on remarque la même tendance : un tabagisme en baisse sur la durée. Or, si la vape menait véritablement au tabagisme, les courbes auraient déjà du s’inverser.
« Ce que nous avons en réalité avec le vapotage chez les jeunes, c’est un cas bénéfique pour ceux qui ont été détournés du tabac fumé, et un cas assez trivial pour ceux qui sont des utilisateurs plus timides ou qui s’y essayent juste. Aucune de ces choses ne devrait générer une panique morale suffisante pour nous amener à refuser aux fumeurs adultes les avantages du vapotage pour arrêter de fumer »
– Clive Bates, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Pourtant, c’est bel et bien ce qu’il se passe. En brandissant à tout va ce faux argument des dangers de la vape chez les jeunes, sans savoir d’ailleurs ce qu’ils auraient fait s’ils n’avaient pas rencontré la vape, on tend à priver les adultes fumeurs de l’une des solutions d’aide à l’arrêt les plus efficaces à l’heure actuelle. En plus de packagings colorés, le coupable tout désigné : les arômes.
Le problème des arômes
Partout, les gouvernements commencent à entrevoir dans l’interdiction des arômes (hors goût tabac) une bonne solution pour protéger la jeunesse de l’attrait du vapotage (3).
Mais, à y regarder de plus près, la solution est loin d’être idéale.
« Des études et des sondages ont été réalisés au Royaume-Uni, mais également en Europe, qui montrent que si les arômes venaient à être restreints ou interdits, les vapoteurs pourraient recommencer à fumer. Et nous avons constaté des chiffres très similaires dans toute l’Europe, de l’ordre de 30 à 35 %. Si cela devait se produire au Royaume-Uni par exemple, cela représenterait 1,5 million de fumeurs en plus »
– John Dunne, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Pour les vapoteurs anciennement fumeurs, les arômes sont précisément la clé d’un sevrage tabagique réussi (4). Ce sont eux qui leur ont permis de prendre plaisir à s’éloigner de la cigarette, jour après jour, année après année.
« Ce côté ludique de la vape, ce côté goût agréable… ça fonctionne chez des gens pour qui patchs et gommes ça ne marche pas justement »
– Dr Anne Borgne, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Au nom de quoi, donc, devrait-on demander à ces fumeurs de renoncer à ce qui leur procurent assez de plaisir pour réussir à arrêter de fumer ? En quoi interdire tous les arômes sauf la saveur tabac, qui leur rappelle précisément le goût d’une cigarette, pourrait aider en quoi que ce soit la lutte contre le tabagisme ?
« Une interdiction des arômes en Europe aurait trois effets. Premièrement, elle rendrait la vape moins attractive et les gens continueront à fumer, rechuteront ou ne seront pas détournés du tabagisme grâce au vapotage. Deuxièmement, nous assisterons bien évidemment à la montée d’un commerce illicite. Et troisièmement, nous verrons des contournements risqués : les gens créeront leurs propres saveurs »
– Clive Bates, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Soit exactement ce qu’il se passe aux États-Unis, mais aussi au Québec et dans bien d’autres pays et états qui ont voté une telle loi !
Les limites de la prohibition
On aurait pu croire que la prohibition sur l’alcool aux États-Unis, dans les années 1920-1930, leur aurait permis d’entrevoir les nombreuses limites d’une telle stratégie de lutte contre les addictions.
Pourtant, tout recommence aujourd’hui avec les produits du vapotage et autres alternatives nicotinées sans fumée.
Bannir les arômes, taxer les produits du vapotage… rien n’est plus contre-productif pour la lutte antitabagique mondiale.
On le remarque déjà avec les taxes sur les cigarettes classiques. Non seulement ces dernières creusent les inégalités, sans véritable effet sur les populations les plus précaires, mais elles génèrent un dangereux effet pervers : la contrebande.
« La taxe est un outil indéniablement puissant et efficace, mais qui est insuffisant et qui rencontre ses propres limites »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
En matière de lutte contre les addictions, une mesure n’est jamais efficace seule. En revanche, plusieurs actions coordonnées – et non basées seulement sur la répression – fonctionnent.
« Vous ne pouvez pas seulement augmenter le prix d’une drogue addictive et ensuite priver les gens d’alternatives. Vous devez accompagner l’augmentation des taxes à des mesures préventives pour inciter les fumeurs à passer à des produits moins nocifs. Sinon, il s’agit simplement d’une politique totalement contraire à l’éthique »
– Clive Bates, dans Tais-toi et fume 2 – Le meilleur des mondes
Tais-toi et fume 2 : en résumé
En résumé, il s’agit de ne pas oublier que, si la nicotine est une substance addictive, elle n’est pas cancérigène. Ni responsable des morts dus au tabagisme. C’est la combustion qui tue.
De même, l’effet passerelle, qui inciterait les jeunes vapoteurs à passer à la cigarette, n’a jamais été prouvé.
En revanche, les effets d’une interdiction des arômes, eux, sont déjà bien connus : ils poussent les vapoteurs à reprendre la cigarette, empêche ceux qui voudraient arrêter d’une alternative plaisante et efficace, et en mène bien d’autres sur le marché noir. Avec tous les dangers que cela comporte.
Pour lutter efficacement contre le tabagisme, il ne s’agit pas simplement d’augmenter les taxes un peu plus chaque année. Il faut revoir entièrement notre stratégie, en adoptant une démarche plus pragmatique, axée sur l’éducation, la prévention et la protection des consommateurs de nicotine. Non sur la dissuasion.
Autrement dit, il nous faut nous diriger vers la seule méthode ayant vraiment fait ses preuves : la réduction des risques. Le troisième et dernier épisode est là pour en parler !
Notes
(1) Voir notamment l’article de JeSuisVapoteur au sujet de la vape et de la TPD
(2) Voir notamment l’article de JeSuisVapoteur sur l’effet passerelle
(3) Voir notamment l’article de JeSuisVapoteur sur la position de la France au sujet de l’interdiction des arômes
(4) Consulter le sondage effectué par JeSuisVapoteur et l’IFOP sur le rôle des produits nicotinés dans le sevrage à la cigarette