En attente de l’approbation du Parlement, puis de l’Union européenne, l’interdiction de la puff en France fait son chemin. Une question laisse pourtant bouche bée les défenseurs de cette loi, qui ne l’avait apparemment pas anticipé : que faire de ces jeunes, qui se sont potentiellement habitués à la présence de nicotine au quotidien ?
Interdiction de la puff en France : agir, réfléchir ensuite
Il se sera écoulé à peine plus d’un an entre l’enregistrement de la proposition de loi et son vote unanime à l’Assemblée nationale. Lundi 4 décembre 2023, le premier pas vers l’interdiction des cigarettes électroniques jetables, dites « puffs » a été franchi. La loi n°464 « visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique » doit encore en passer par le Parlement et obtenir le feu vert de l’Union européenne, mais le gouvernement français se dit confiant : il souhaite une mise en application avant la fin de cette année.
Car, pour lui comme pour les associations antitabac du pays, il y a urgence : les puffs sont considérées comme dangereuses et piégeuses, nées de l’industrie du tabac pour inciter les jeunes à vapoter puis à fumer.
En dépit du fait qu’aucun de ces arguments n’en soit vraiment un – puisqu’une puff n’est rien de moins qu’une cigarette électronique jetable après quelques utilisations, qu’elle est née de l’industrie de la vape et non du tabac pour simplifier le sevrage des fumeurs adultes, et que ledit effet passerelle de la vape vers le tabac n’a jamais été prouvé, mais toujours réfuté – son utilisation par des jeunes dérange.
Mais, plutôt que de commencer par faire respecter la loi en place, c’est-à-dire son interdiction de vente auprès des mineurs, la France a préféré aller au plus rapide : la proscrire. Quitte à en oublier de réfléchir aux conséquences, dont celle-ci : que faire des jeunes qui ont choisi de vapoter une puff présentant de la nicotine, et qui se sont donc peut-être accoutumés à cette substance addictive, désormais ?
« Pour être honnête, on ne s’est pas interrogé collectivement sur ce sujet, a notamment déclaré Loïc Josseran, président d’Alliance contre le tabac et fervent partisan de l’anti-vapotage en France, au journal Le Parisien. Peut-être que nous avons été aveuglés à l’idée de faire disparaitre la puff… ». Peut-être, oui, en effet !
Puff et nicotine : accro du jour au lendemain ?
Au fond, la question qui brûle toutes les lèvres, c’est de savoir à partir de quand survient l’addiction à la nicotine.
S’il n’existe pas de réponse simple et définitive à cette question, on sait la nicotine contenue dans une cigarette de tabac fortement addictive. Et pour cause : une fois la cigarette allumée, son absorption est à la fois rapide et intense (moins de 20 secondes), provoquant de véritables « shoots nicotiniques » à chaque bouffée. De même, il est désormais connu que les cigarettiers ajoutent des composants dédiés à renforcer son pouvoir addictif.
Mais, puisqu’une puff n’a rien de commun avec une cigarette classique, c’est du côté de la nicotine des cigarettes électroniques qu’il nous faut creuser.
Or, la nicotine présente dans les produits du vapotage (car certains n’en contiennent pas) ne fonctionne pas de la même manière que celle d’une cigarette de tabac. Dans une e-cigarette, l’absorption nicotinique est bien plus linéaire. De plus, en l’absence de combustion, elle ne s’accompagne pas de toutes les substances toxiques et cancérigènes de la cigarette traditionnelle.
Des études menées à ce sujet, on peut notamment citer celle de Saul Shiffman et Mark A. Sembower, publiée dans la revue scientifique Addiction en mars 2020 (1) et qui en a conclu que « l’utilisation d’e-cigarettes semble être associée de manière cohérente à une dépendance à la nicotine plus faible que le tabagisme ». Ou encore celles reprises dans le « briseur de mythes » de l’ASH, ou Action of Smoking Health, la principale organisation antitabac de Grande-Bretagne.
Interdiction de la puff en France : déjà un retour de bâton ?
Les questionnements récents viennent bien le confirmer : le problème a été pris à l’envers. Plutôt que de reconnaitre le lien causal existant entre le fait que les jeunes d’aujourd’hui vapent plus, et pourtant fument moins, le gouvernement français a choisi d’y voir la prochaine menace de santé publique.
Résultat : en supprimant la puff, qui fait déjà office de barrière au tabagisme, la France risque de devoir rapidement trouver des solutions de remplacement pour ces jeunes, afin de les empêcher de se tourner vers la cigarette. À vouloir lutter contre cet illusoire « effet passerelle », ils ont peut-être bel et bien fini par le rendre réel…
Aussi, avant de défendre aussi ardemment une telle loi, les anti-puff auraient plutôt dû se poser certaines questions, dont celle-ci : comment faire, sans la puff, pour que les jeunes ne s’orientent pas vers le marché illicite ou la cigarette de tabac ? Car c’est bien ce qui se profile : les jeunes se regroupent déjà autour de marchés parallèles pour obtenir des puffs et, comme on le voit aux États-Unis ou encore en Australie, lorsqu’ils n’ont plus accès à la vape… ils fument.
Sources :
(1) Saul Shiffman, Mark A. Sembower, Dependence on e-cigarettes and cigarettes in a cross-sectionnal study of US adults, Addiction, Volume 114, Issue 10, 20 mars 2020. DOI : https://doi.org/10.1111/add.15060