Savez-vous à quand remontent les premières lois antitabac en France ? Connaissez-vous les dates et mesures exactes de toutes celles qui ont suivi ? Quelles figures politiques en sont à l’origine ? Ou encore quels effets elles ont eus sur la lutte contre le tabagisme dans notre pays ?
Pour mieux comprendre les bénéfices et les limites des lois antitabac actuelles et à venir, un bond dans le passé s’impose.
Aux origines de la lutte antitabagique française
Avant le milieu des années 1970 en France, et notamment l’arrivée de Simone Veil au ministère de la Santé, la lutte contre le tabagisme était tout simplement absente des enjeux de santé publique.
La cigarette pouvait ne pas quitter la main d’un fumeur de la journée : ça fumait dans les bureaux de poste, les hôpitaux, les universités, les cinémas, les bars et restaurants, partout.
Puis, on a commencé à réaliser les véritables dangers dissimulés derrière sa fumée.
Au lancement du premier plan d’action antitabac en 1975, Simone Veil, alors Ministre de la Santé, déclarait ainsi ceci : « Le tabac [fumé, devrait-on bien préciser aujourd’hui] a une très grande nocivité sur la santé. Les conclusions de tous les spécialistes, des cancérologues, des pneumologues concordent ».
Aussi, le 9 juillet 1976, la première loi française de lutte contre le tabagisme voyait le jour 1.
Les principales dispositions de cette loi ? L’interdiction de la publicité sur certains supports (télévision, cinéma, radio…) ; L’interdiction de fumer dans certains lieux collectifs (bureaux de poste, hôpitaux…) ; Ou encore l’obligation d’apposer un message sanitaire : “abus dangereux”.
La puissance du lobby du tabac étant ce qu’elle est, il faudra malheureusement encore attendre plusieurs années pour que l’interdiction de publicité s’étende à la presse écrite, l’interdiction de fumer à tous les lieux publics couverts, et pour que la vérité – “fumer tue” – soit enfin révélée sur chaque paquet.
Les grandes lois antitabac en France, de 1990 à nos jours
En presque 50 ans de lois antitabac en France, de nombreux décrets, projets et mesures ont progressivement vu le jour, principalement depuis les années 1990.
Suite à la loi Veil de 1976, en voici 7, qui ont marqué l’histoire de la lutte contre le tabac en France :
- 1991 : la Loi n°91-32 du 10 janvier 1991 (dite ” loi EVIN ” en rapport au Ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité en poste à cette époque, Claude Evin) donne une nouvelle impulsion à la lutte contre le tabagisme.
Entrée en vigueur au 1er novembre 1992, elle :- étend l’interdiction de fumer à de nombreux lieux publics, y compris les transports, et prévoit l’instauration d’espaces fumeurs ;
- renforce l’interdiction de publicité, incluant la distribution gratuite et les opérations de parrainage ;
- oblige les cigarettiers à faire apposer la mention “Nuit gravement à la santé” sur chaque paquet de cigarettes ;
- instaure par décret une manifestation annuelle “Jour sans tabac” dans la continuité de l’opération menée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), chaque 31 mai.
- 1999-2000 : la Circulaire du 8 juin 1999 relative à la lutte contre le tabagisme dans les établissements de santé s’engage dans la prévention et la prise en charge du tabagisme. L’Arrêté du 30 novembre 1999 qui suit prévoit ainsi la mise à disposition des substituts nicotiniques à l’hôpital, tandis que la Circulaire du 3 avril 2000 renforce la création d’unités de coordination de tabacologie (UCT).
- 2003 : la Loi n°2003-715 du 31 juillet 2003 s’attaque à la consommation de tabac chez les jeunes.
Sa mesure phare : l’interdiction de vente de tabac aux mineurs de moins de 16 ans. Cette dernière sera étendue à 18 ans avec la loi du 21 juillet 2009.
- 2007 : le Décret n°2006-1386 du 15 novembre 2006 (applicable au 1er février 2007) vient préciser et étendre les modalités d’interdiction de la cigarette dans les lieux à usage collectif. Il devient interdit de fumer :
- dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail ;
- dans l’enceinte (y compris les endroits ouverts) des établissements scolaires publics et privés (écoles, collèges, lycées), ainsi que des structures d’accueil, de formation ou d’hébergement des mineurs.
- 2011 : conformément à un arrêté d’avril 2010, les images-choc font leur apparition sur les paquets de cigarettes.
- 2017 : l’Ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016 oblige les cigarettiers à uniformiser les packagings des cigarettes. C’est la fameuse mesure du “paquet neutre”.
- 2023 : le Ministre de la Santé de l’époque, Aurélien Rousseau, annonce un nouveau Plan National de Lutte contre le Tabac (PNLT) pour 2023-2027.
Au programme notamment :- une généralisation des espaces sans tabac : sont alors concernés les plages, parcs publics, forêts et abords d’écoles ou d’établissements publics… ;
- un renforcement des contrôles sur les interdictions de vente aux mineurs et des achats hors circuit et transfrontaliers.
Et les mesures d’encadrement, d’interdiction et de restriction précédemment mentionnées ne sont pas les seules à avoir marqué la lutte antitabac française. Il y en a une en particulier que les fumeurs retrouvent bien trop souvent à leur goût, mais qui, selon le gouvernement et certains experts, est essentielle au combat : la taxation des produits du tabac.
L’historique des taxes sur le tabac : des hausses minimes, mais fréquentes
En l’espace de 50 ans, le prix des cigarettes n’a cessé d’augmenter d’année en année, voire de mois en mois. Des hausses qualifiées de “minimes” par les experts de la lutte antitabac, mais assez fréquentes d’après le gouvernement pour dissuader les fumeurs et les convaincre d’arrêter.
Ainsi, en 1993, un paquet de cigarettes coûtait environ 13 francs, soit 1,98 euros. Près de 20 ans plus tard, un fumeur devait alors débourser 6,30 euros environ. Soit une hausse de 223 %. Encore 10 ans plus tard, en 2022, le paquet de cigarettes avait atteint les 10,5 euros en moyenne.
Et, depuis 2024, la barre des 12 euros est franchie.
Si toutes ces mesures ont grandement participé à la débanalisation de la cigarette dans l’esprit de la population, ainsi qu’à l’abaissement du taux de tabagisme en France ces cinquante dernières années (- 1,02 %), elles semblent néanmoins incapables d’en venir à bout.
En effet, selon le dernier rapport de Santé publique France, en 2022, plus de trois Français sur dix se sont déclarés fumeurs, soit 31,8 % de la population. Et ces chiffres ne concernent que les personnes âgées de 18 à 75 ans résidant en France métropolitaine…
De quoi se poser légitimement la question de la pertinence de telles mesures sur la lutte antitabagique française.
Quelles limites aux lois antitabac promulguées en France ?
En France, on le voit bien, arriver à transformer les comportements des fumeurs prend son temps. Chaque mesure semble simplement venir en compléter une autre, de manière très progressive, témoignant d’une « réticence à aller trop vite, à aller trop loin, à prendre des décisions de fond », comme l’explique Claude Evin lors de son passage dans l’émission INAttendu sur France TV, dimanche 14 janvier 2024 2.
Pour cet ancien ministre, l’équilibre d’une bonne stratégie antitabac est difficile à trouver. À trop interdire, répond-il lorsque le journaliste lui demande son avis sur une interdiction pure et dure de la cigarette, comme l’appelle de ses vœux le Royaume-Uni, « on retrouve des biais pour passer à travers » : un marché noir florissant notamment, « qui vient perturber les mesures de régulation qui sont mises en place ».
Raison de plus, comme en témoignent de nombreux experts, médecins, addictologues et tabacologues pour la plupart, de revoir la stratégie actuelle, perpétuée depuis des années, qui ne fonctionnent pas. Mais le gouvernement français s’y refuse.
Par conflit d’intérêt avec les lobbystes ? Par appât du gain ?
« Les effets du tabac notamment sur la santé et sur la prise en charge des soins coûtent beaucoup plus chers que ce que rapportent les taxes », a notamment défendu Claude Evin sur le plateau de France TV.
Pourtant, un rapport d’information déposé le 26 février 2014 au Sénat alertait déjà sur l’utilisation de la fiscalité en tant que source de rendement du gouvernement, plus que par objectif d’amélioration de la santé publique 3 :
” En dépit du rôle « fortement directeur » de la fiscalité sur les prix et la structure du marché des produits du tabac, force est de constater que les pouvoirs publics ont utilisé cet outil avec parcimonie depuis le début des années 2000 “
– Sénat, Rapport d’information n° 399 (2013-2014), 26 février 2014
En effet, pour les spécialistes en lutte antitabac, la taxation n’a par exemple aucun véritable effet tant qu’elle n’est pas utilisée de manière forte.
” Les économistes ont montré depuis très longtemps que pour diminuer le tabagisme de 10 %, il faut augmenter le prix du tabac de 20 %. Et que, ce qui fonctionne pour réduire la consommation de tabac, c’est une augmentation franche, massive et régulière “
– Dr Anne Borgne, ChesterView, 8 décembre 2023 4
Autre problématique : la taxation ne peut être envisagée sur le très long terme. Car vient avec elle un dangereux effet pervers, à laquelle est d’ailleurs actuellement confrontée la France : la contrebande.
C’est pourquoi, comme tous ces experts le martèlent, il existe une bien meilleure stratégie, qui a déjà porté ses fruits dans d’autres domaines de l’addictologie : la réduction des risques.
C’est notamment le principe fondateur des substituts à la nicotine comme les patchs, les inhalateurs ou encore les pastilles et les gommes à mâcher. Mais c’est également celui, aujourd’hui, de produits apparemment plus dérangeants pour les pouvoirs publics et les associations antitabac, en particulier les produits du vapotage.
Le vapotage comme mesure antitabac ?
Voilà qui nous ramène aux dernières lois antitabac en date : celles figurant au plan national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027. Car à l’intérieur se cachent d’autres mesures, bien loin de servir la lutte, comme le note très justement le collectif JeSuisVapoteur 5:
” JeSuisVapoteur, collectif d’anciens fumeurs utilisateurs de cigarette électronique et professionnels du secteur, accueille avec incompréhension la présentation du Programme National de Lutte contre le Tabac. Il est regrettable que le vapotage soit assimilé au tabac, quand celui-ci est au contraire un moyen efficace d’en sortir “
– JSV, Communiqué de presse, Paris, 28 novembre 2023
Désormais au programme de la lutte antitabagique française, les produits du vapotage sont accusés de jouer le jeu du tabagisme : trop accessibles, aromatisés et attrayants, ils inciteraient les jeunes et moins jeunes (mais surtout les très jeunes) à commencer, afin de transitionner ensuite vers la cigarette. Le gouvernement souhaite donc les taxer, leur retirer leurs packagings, voire même leurs saveurs, au même titre que les cigarettes combustibles.
Et c’est là que le gouvernement fait erreur : dans chaque étude scientifique digne d’intérêt (réalisée par des chercheurs indépendants et basée sur une méthodologie résistante aux biais et autres critiques), le vapotage est défini comme une aide précieuse pour les fumeurs adultes et un distracteur de la cigarette chez les jeunes. Malgré l’absence de soutien du gouvernement, il a déjà largement contribué à abaisser le taux de prévalence tabagique et l’on sait quels bénéfices supplémentaires il pourrait apporter à la lutte contre le tabac s’il était enfin reconnu pour ce qu’il est.
Aussi, ne nous trompons pas de combat : la lutte antitabac est bel et bien une lutte contre les dangers dus à la combustion de la cigarette, qui tue 200 personnes chaque jour. Non une lutte contre la vape, qui ne comptabilise aucun mort et n’est responsable d’aucune maladie depuis son arrivée, il y a plus de 15 ans. Et encore moins contre la nicotine, substance en partie responsable de l’addiction à la cigarette, certes, mais non la cause des maladies et décès liés au tabagisme.
Pour avancer dans la lutte antitabac française et espérer la gagner, pourquoi donc ne pas changer de stratégie et envisager la vape, non comme cette nouvelle cible à abattre, mais plutôt comme un moyen de mettre à mal le tabagisme ?!
Sources
1 Voir Loi n°76-616 du 9 juillet 1976, dite ” loi Veil “
2 INAttendu, Émission du dimanche 14 janvier 2024 “Haro sur la cigarette” avec Claude Evin à retrouver sur france.tv
3 Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales, Rapport d’information n° 399 (2013-2014), déposé le 26 février 2014, disponible sur le site officiel au Sénat
4 Interview du docteure Anne Borgne, tabacologue, par Oneshot Media, à retrouver dans la série ChesterView, disponible sur la chaine YouTube
5 Communiqué de presse JeSuisVapoteur (JSV), PNLT 2023 ou comment encourager les vapoteurs à reprendre la cigarette (version PDF téléchargeable)