En juin dernier est parue l’étude de XERFI concernant « Les dynamiques concurrentielles sur le marché de la cigarette électronique – Offensive de Big Tobacco, menaces réglementaires, phénomène des puffs : quelles perspectives à l’horizon 2024 ? ». Une synthèse si juste du marché de la vape que nous avons eu envie de rencontrer son auteur, Benoit Samarcq.
Qu’est-ce que le XERFI ?
Le Xerfi est une société privée et indépendante fondée il y a plus de 25 ans par Laurent Faibis qui est toujours aux manettes aujourd’hui. Notre travail est d’étudier les conjonctures des différents secteurs économiques présents en France. Autrement dit, nous décryptons le marché, analysons l’évolution de son activité passée et faisons des prévisions sur les perspectives à court terme.
Quelle est votre organisation en interne ?
Nous sommes une trentaine à travailler sur la réalisation des études, avec des profils assez variés afin de couvrir les différents secteurs économiques tels que l’industrie, les services aux entreprises, aux ménages… Quant à moi, je m’occupe des secteurs relatifs à la distribution de biens auprès des particuliers.
Qu’est-ce qui différencie le XERFI d’un cabinet de conseils ?
Contrairement à un cabinet de conseils, nous ne réalisons pas d’études à la demande. Nous faisons nos choix éditoriaux, définissons nos sujets ainsi que l’angle sous lequel les aborder pour les décrypter au mieux. Puis nous lançons la commercialisation de l’étude, en espérant qu’elle trouve son public, réponde aux interrogations de chacun et alimente la réflexion des acteurs susceptibles de l’acheter.
Combien de temps avez-vous consacré à l’étude XERFI sur la vape et comment avez-vous procédé ?
Durant un mois, je me suis plongé dans le monde de la vape. Je ne me revendique pas comme un expert de la cigarette électronique, comme pourrait l’être un professionnel du secteur. Chez Xerfi, je suis expert sur les sujets relatifs à la distribution des produits de grande consommation après du grand public. C’est avec ce regard que j’ai analysé et abordé mon travail sur la vape.
Pour une bonne partie des études, nous nous appuyons sur des données existantes que nous collectons. Parfois aussi, comme pour le marché de la vape, nous faisons nos propres calculs. Ici, ce travail en amont a été indispensable pour estimer la taille du secteur. Mais la plupart du temps, nous avons accès à un bon nombre de données, de l’INSEE par exemple, permettant d’évaluer le marché ou de définir la taille des différents acteurs selon leur profil… Et, dans les cas extrêmes, nous avons un centre d’appels avec une dizaine de personnes chargées de contacter des acteurs du secteur pour construire nos propres indicateurs.
Concernant l’étude XERFI sur la vape, avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
La plus grande difficulté rencontrée ici est que l’on est sur un marché disposant de très peu de données. Hormis quelques infos sur le nombre de boutiques de vape en France et leur dynamique d’ouverture, ainsi que des sondages évaluant le nombre de vapoteurs, la fréquence à laquelle ils vapotent ou encore les circuits de distributions les plus plébiscités (entre la vente en ligne, les bureaux de tabac, les shops), nous n’avons globalement pas grand-chose… En effet, contrairement à d’autres secteurs, la vape n’a pas de syndicats ou de fédérations professionnelles qui publieraient leurs propres données et revendiqueraient le poids de leurs acteurs. On est aussi loin des produits de grande consommation pour lesquels des organismes collectent des données en sortie de caisse dans le but de comprendre le marché…
Comment vous y êtes donc pris pour appréhender ce marché ?
Pour comprendre au mieux le marché de la vape, nous avons croisé deux méthodes : d’une part, on estime la part de vapoteurs en France, et la consommation moyenne que cela représente en valeur, c’est-à-dire en coût du matériel et des liquides, afin d’avoir un ordre de grandeur du côté de la demande. D’autre part, on mesure ce que représente le marché en termes d’offre, autrement dit en prenant le nombre de Vape Shops en France et leur chiffre d’affaires moyen. Cela permet d’avoir un nombre de grandeur, même s’il faut garder à l’esprit qu’une partie des ventes se fait en ligne ou chez les buralistes…
Avez-vous eu plus de facilité à récupérer des informations du côté des buralistes ?
Non, nous n’avons eu aucune information de ce que représente le volume de vente des cigarettes électroniques dans leurs rayons. La fédération des buralistes m’a confirmé ne pas connaître le nombre de bureaux de tabac commercialisant des Pods et encore moins ce que cela représente dans leur chiffre d’affaires global. Sans compter cela doit être très variable d’un buraliste à l’autre… Nous avons néanmoins récupéré quelques données du côté des industriels du tabac, notamment Vuse qui communique son chiffre d’affaires réalisé avec ses Pods dans le monde, en Europe et en France. Cela donne une bonne idée de grandeur car Vuse représente une part importante des ventes des buralistes.
Comment considérez-vous le marché de la vape en termes de dynamisme, de croissance et d’évolution ?
Nous sommes sur un marché qui a connu un essor formidable ces dix dernières années. Encore émergeant il y a peu, son chiffre d’affaires se rapprocherait aujourd’hui du milliard d’euros. La vape a une croissance significative que peu de marchés peuvent revendiquer et de surcroit, en si peu de temps. Son profil est d’autant plus atypique que, selon les controverses rencontrées, on note des allers retours marqués par des rythmes de croissance importants suivis de périodes bien plus calmes. Cet effet de stop and go est une réelle caractéristique du marché. Cela s’explique par les questions et les doutes qui subsistent, sur l’innocuité réelle du produit, mais surtout par le poids de l’environnement : les avis scientifiques et les éventuelles réglementations planent telle une menace au-dessus du marché de la vape, dont l’avenir oscille entre potentiel considérable et incertitudes.
Avez-vous une analyse législative et comportementale permettant d’anticiper le futur de la vape selon les potentielles réglementations ?
Dans l’étude, nous revenons sur l’évolution réglementaire qui a marqué le marché ainsi que sur les législations potentielles qui pourraient tomber et qui représentent des menaces importantes. Aujourd’hui, le plus gros risque est en effet que la réglementation se durcisse ; soit via des taxes appliquées sur les produits de la vape, comme c’est le cas pour le tabac, soit avec une interdiction des arômes, à l’instar de ce qui a déjà été fait dans plusieurs pays européens, et notamment prochainement aux Pays-Bas… Demain, si seul l’arôme tabac est autorisé, la cigarette électronique sera de fait moins attractive. De plus, on reproche à la vape d’attirer les jeunes, mais un jeune qui vape des arômes sera surpris par le goût tabac de la cigarette, alors que s’il n’y a plus d’arômes, il sera habitué !
De la même façon, des prix qui s’envoleraient suite à la mise en place de nouvelles taxes invalideraient l’argument économique de la vape, et seront un frein supplémentaire pour le développement du marché : le moindre coût de la vape par rapport au tabac est un argument fort pour les fumeurs et une équivalence de prix en empêchera certains de franchir le pas.
Quelles sont les forces et les faiblesses du marché de la vape ?
Avec près de 3000 Vape Shops en France, la grande force de ce marché est son réseau considérable de boutiques spécialisées. Toute personne qui souhaite se renseigner ou tester la vape peut facilement trouver une boutique pour la conseiller et se faire présenter un produit. Voilà un vrai atout dont tous les marchés ne bénéficient pas ! Certes, il n’y a pas autant de Vape Shops que de buralistes, mais pour un circuit spécialisé et presque mono produit, il s’agit vraiment là d’un cas de figure quasi unique !
Côté inconvénients, le marché est très éclaté. Un néophyte qui aimerait passer à la vape peut facilement être perdu devant le nombre de marques disponibles. Il n’y a pas un produit star standardisé, qui capterait les nouveaux clients. Lorsque les machines à café à capsules ont émergé, les gens optaient par défaut pour la Nespresso ; c’était une forme de standard. Même chose pour l’iPhone : sans lui, la percée des smartphones aurait été plus lente. Le besoin des smartphones n’était pas capital à l’époque, on voulait surtout un iPhone ! La Nespresso et l’iPhone sont des exemples emblématiques de deux marques fortes qui ont su imposer un standard à leur marché, tout en lui offrant une belle progression. Loin de ce modèle, le marché de la vape n’a pas de produit incontournable, et sa filière n’est pas libre de faire de la publicité, ce qui est une faiblesse pour capter des néophytes. Nous ne sommes donc pas ici sur un produit de grande consommation classique.
Pour autant, les vapoteurs expérimentés peuvent se réjouir d’avoir accès à une offre importante. Sans oublier que d’avoir beaucoup d’acteurs dans ce marché engendre une nouvelle émulation.
Que pensez-vous des Puffs ?
Là encore le marché des jetables est très éclaté, avec énormément d’acteurs. Ce qui est intéressant, c’est que l’on est sur un produit ultra accessible pour quelqu’un qui n’a jamais vapoté. La Puff répond parfaitement à l’attente de simplicité ultime des consommateurs qui ne souhaitent pas forcément savoir comment on met du liquide, ou anticiper les questions de résistance… Si cela explique d’ailleurs en partie ce succès, notamment auprès des plus jeunes, se pose tout de même la question de l’impact environnemental, à une époque où le tout jetable est une hérésie. Sans parler du prix : six ou sept euros par jour, c’est aussi cher que la cigarette alors que l’on peut vapoter pour un à deux euros par jour. Pourtant, beaucoup ont une mauvaise perception du prix et continuent de penser que la Puff est moins chère, car elle n’impose pas le coût d’entrée d’une cinquantaine d’euros d’achat du kit, des e-liquides etc… On ne peut qu’espérer que ces consommateurs comprennent et changent leurs habitudes au bout de quelques mois de consommation.
Qu’en est-il de l’innocuité de la vape ?
Nous avons fait un tour d’horizon des études scientifiques et, même si les avis peuvent plus ou moins diverger, nous n’avons pas trouvé d’articles ou de chiffres mettant réellement à mal la vape.
Le seul doute actuellement, c’est le manque de recul en termes de temps. Mais c’est une incertitude nettement plus limitée que toutes les certitudes que l’on a vis-à-vis du tabac…
Comment diffuser le message de la vape ?
Il faudrait certainement accrocher l’oreille d’un politique capable de se mouiller pour le sujet, de défendre la vape pour qu’elle devienne un véritable outil de sevrage et une alternative au tabac.
Mais la vraie peur des politiques est que la promotion de la vape ne la banalise et n’encourage des non-fumeurs à vapoter. Voilà l’un des freins d’un éventuel soutien politique. Ces vapoteurs qui n’étaient pas fumeurs sont pourtant des cas très marginaux. Au Royaume-Unis, où la politique est engagée pour la vape, on ne constate pas d’augmentation du nombre de vapoteurs non-fumeurs. Il serait souhaitable que ce modèle anglais, qui cible sa politique autour des fumeurs, nous inspire. D’autant que l’aspect bénéfices/risques est clairement en faveur de la vape. Ne reste donc plus qu’à trouver un soutien politique fort qui serait réellement engagé et non plus empêtré dans l’espèce de statut quo actuel. Et, pour le marché de la vape, espérons que la balance penche du bon côté !
“Lorsque le XERFI se penche sur la vape” est un article tiré du magazine Oneshot #12