À l’heure où le gouvernement français pense sérieusement à instaurer une taxe, mais également une obligation d’agrément pour les vape-shops, en plus d’une interdiction de vente en ligne, beaucoup de doutes légitimes envahissent le secteur de la vape indépendante. Dont la plus grande : celle d’être assimilée encore plus qu’elle ne l’est déjà dans les esprits à l’industrie du tabac. Pour mieux comprendre ce qui pourrait nous attendre, mais aussi ce qui pèse toujours dans la balance et rend le secteur de la vape aussi unique, nous sommes allés à la rencontre de Jean-Philippe Perot, buraliste tabac et vape depuis 13 ans maintenant, qui jongle avec les droits d’accise, les interdictions et les contraintes inhérentes à sa licence. Il nous raconte son quotidien et nous livre son point de vue sur l’article 23.
Oneshot Media : Bonjour Jean-Philippe Perot, vous êtes buraliste sur Cholet (49) depuis 2012 et proposez également des produits du vapotage. Quand avez-vous commencé à distribuer ces produits et pourquoi ?
Jean-Philippe Perot :
Effectivement, je suis arrivé avec mon épouse dans cette profession il y a 13 ans et j’ai tout de suite proposé à ma clientèle cette alternative à la combustion. Aidé en cela parce que pleinement convaincu par ce produit qui nous a permis à tous deux de lâcher nos cigarettes. J’y voyais certes une opportunité commerciale, je ne vais pas le nier, mais j’y voyais surtout l’avenir de ma profession. J’avais à cœur de suivre mes clients dans leur démarche d’arrêt du tabac, en leur proposant une alternative crédible. Et par ce biais, cela m’a permis au fil du temps de fidéliser des centaines de clients.
J’ai tenté tout au long de ces années, et dès le début, de convaincre mes collègues proches et puis au niveau départemental de les inciter à s’inscrire pleinement dans l’appropriation de ce produit. En se formant déjà, c’est la base, tout en proposant une offre structurée. Avec des réticences assez fortes au départ, on ne va pas se le cacher, mais également avec de belles réussites chez certains de mes confrères au fil des années.
13 ans après, à titre personnel, c’est la vape qui est le moteur de mon commerce.
OS Media : Un projet de taxation, d’interdiction de la vente en ligne et d’obligation d’agrément pour les vape-shops est actuellement en discussion dans le Budget 2026. Que pensez-vous de cet article 23 ?
J-P Perot :
Comme vous, je ne sais pas ce qui ressortira de ce très décrié article 23. À titre personnel, je pense qu’il y a beaucoup de mauvais signaux dans ce projet tout en lui reconnaissant au moins une utilité : celui d’une régulation de l’ensemble des produits nicotinés.
Tout d’abord, sur la taxe elle-même. Je pense que c’est effectivement le plus mauvais signal pour nos consommateurs ou plutôt futurs consommateurs. Pourquoi taxer un produit qui permet de sortir du tabagisme ? Alors, on nous opposera certainement que cette taxation sera sans aucune mesure avec celle du tabac. C’est vrai… aujourd’hui… mais j’ai rarement vu une taxe baisser après sa mise en place… en revanche, il sera aisé de l’augmenter chaque année à l’instar de ce qui se fait sur le tabac.
Et c’est surtout un mauvais signal pour les futurs vapoteurs qui se diront même inconsciemment : « Si ce produit est taxé, c’est qu’il est peut-être dangereux ! » Ce sera un frein au switch. Bref, à mon sens, en termes de politique de santé publique, il n’y a rien de plus contre-productif.
Ensuite, sur l’interdiction de vente en ligne. Je constate que les avis sont très contrastés même au sein des vapeshop. À mon niveau, je comprends parfaitement les inquiétudes des purs players, mais même s’il y a de très bons sites, il en existe également qui commercialisent ce produit sans conseil… et surtout sans contrôle réel de l’âge. Qu’on le veuille ou non, on parle d’un produit sensible. On pourrait peut-être déjà trouver une solution intermédiaire dans le contrôle obligatoire et vérifiable de la majorité. Donc, je suis assez partagé sur ce point de l’article 23 car je milite pour que la vape soit largement diffusée, tout en permettant aux consommateurs d’avoir les informations et conseils nécessaires à sa compréhension et son appropriation. Et en respectant la règle qui prévaut, celle de l’interdiction de vente aux mineurs. À l’heure actuelle, les réseaux physiques des buralistes et des boutiques spécialisées sont pour moi les seuls permettant de tendre vers cela.
Enfin, et c’est en lien avec la taxe, on parle du régime d’accise, même si cette taxe pourrait être à 0 € en 2026, mais sans déroger à la règle de l’accise. L’unique intérêt pour moi de cette accise, même si on aurait certainement pu proposer autre chose, c’est qu’elle réservera la vente de la vape aux établissements agréés par l’administration. En l’espèce, la gestion réglementaire de ces établissements serait confiée au ministère du budget, et plus particulièrement à son bras armé : la Douane. Alors, je sais que cela ne plait pas à l’ensemble des professionnels du secteur, mais cela aurait au moins le mérite de réguler tout en soumettant à certaines règles communes le réseau des buralistes et celui des vapeshops.
D’abord réguler pour éviter que ce produit ne se retrouvent comme c’est de trop nombreuses fois le cas dans des points de vente « exotiques ». Je pense à la GMS, aux discounters, mais aussi au pire, pour l’avoir constaté moi-même, dans des foires à disposition dans des machines à pinces !
Mais aussi, il m’apparait logique que l’ensemble des acteurs soient soumis à des règles similaires : que ce soit sur l’obligation de formation, mais aussi sur les règles d’implantation ou encore sur le non-respect de nos obligations. Certains m’opposeront avec raison que nous ne pouvons pas considérer la vape comme le tabac, c’est vrai… Je le pense aussi. Mais il me semble légitime que l’ensemble des acteurs soient soumis aux mêmes exigences sur les produits de nouvelle génération qui, in fine, remplaceront la combustion.
OS Media : En tant que buraliste, vous êtes déjà soumis à l’agrémentation. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? C’est-à-dire : Comment obtenez-vous votre agrémentation ? Est-elle définitive ou à renouveler ? Payante ? Soumise à quelles conditions (enquête de moralité, formation obligatoire, un seul bureau de tabac, non vente aux mineurs ou autre…) ?
J-P Perot :
Les buralistes signent avant de débuter leur activité un contrat de gérance avec leur douane de rattachement. Avant cela, le buraliste doit avoir transmis l’ensemble des documents demandés par l’organisme de tutelle afin de pouvoir accéder à cette profession.
Par exemple, prouver sa nationalité (Française, ressortissant de l’espace économique européen, ou suisse…), tout en jouissant de ses droits civiques et justifier de son aptitude physique. Il ne peut être gérant d’un autre débit ou en détenir des parts sociales. Et il a l’obligation de se former avant de prendre ses fonctions : formation initiale validée par la douane qui sera suivie tous les 3 ans d’un « recyclage » obligatoire afin de renouveler son contrat de gérance. L’accent est effectivement mis sur le respect de la réglementation.
Une enquête de moralité est effectuée puisque le casier judiciaire n°2 doit être vierge.
La formation est bien évidemment payante mais comme chaque entrepreneur, nous contribuons à la formation professionnelle, donc nous pouvons l’utiliser pour cela. Donc le contrat de gérance ne s’achète pas… Pour faire simple, dans la plupart des cas, nous achetons le fonds de commerce à un buraliste vendeur et nous en acceptons les règles.
Maintenant, votre question va plus loin, celle d’une transposition pure et simple du contrat de gérance aux gérants de vapeshop.
Je ne le pense pas. Je ne suis pas législateur, mais, naïvement me diront certains, je ne pense pas qu’il soit envisagé par nos décideurs une telle mesure. Mais encore faut-il qu’il y ait discussion. En effet, penser que demain la règle serait qu’un gérant de boutique spécialisée ne puisse avoir qu’une seule boutique ne tient pas dans notre modèle économique. Pour le coup, dépendre du ministère du budget serait particulièrement un atout.
Mais en occultant cela, une enquête de moralité ainsi que de la formation, et le respect des règles ne me paraissent pas être insurmontables.
OS Media : Quelles sont les sanctions en cas de non-respect de ces dites conditions ? Autrement dit, dans quels cas peut-on se voir retirer l’agrémentation ?
J-P Perot :
Déjà, il faut savoir que l’ensemble des buralistes signeront prochainement avec la Douane un nouveau contrat de gérance, fruit de plusieurs années de travail entre la douane et la confédération des buralistes. Ceci dit, il ne me semble pas qu’il allégera nos obligations.
Sans être exhaustif, au-delà des choses que j’ai déjà évoquées : honorabilité, obligation de formation, non vente à mineur, posséder en tout ou partie qu’un seul bureau de tabac, nous devons notamment détenir un stock minimum qui correspond à 3 jours de ventes moyenne de tabac tout en s’approvisionnant uniquement auprès des fournisseurs agréés. Il nous est interdit de faire des remises aux clients. De plus, nous devons vendre le tabac qu’au comptoir (les distributeurs automatiques ou la vente par correspondance est donc interdite).
Notre organisme de tutelle a le pouvoir de résilier notre contrat de gérance si nous ne remplissons plus ces conditions d’honorabilité́ ou que nous ne respectons plus les obligations de ce contrat, notamment en cas de vente à un mineur. De la même façon, si nous ne jouissons plus de nos droits civiques, ou que nous perdons la pleine et entière propriété́ de notre fonds de commerce, ou encore si nous changeons notre forme d’exploitation qui ne peut à l’heure actuelle seulement se faire sous la forme d’exploitation individuelle ou de SNC.
Il peut être ajouté une sanction disciplinaire à cette résiliation, que la faute ait été commise par nous ou quelqu’un travaillant avec nous.
L’erreur étant humaine, à ma connaissance, il y a une certaine progressivité dans les sanctions de la part de la Douane.
OS Media : En tant que buraliste, vous êtes également déjà soumis à la taxation. Comment cette dernière est-elle collectée ? Comment fonctionne-t-elle (cautionnement, stock à crédit, timbres fiscaux…) ?
J-P Perot :
Franchement, je lis beaucoup de choses sur les sites spécialisés ou les réseaux, inexactes de temps en temps. Certainement induites par des mises en place chaotiques dans d’autres pays. Mais je pense que s’il y a taxe, ce que je n’espère pas, elle ne pourrait se faire que partiellement par rapport au modèle que je connais.
Déjà, nous payons notre marchandise à nos fournisseurs (principalement Logista) sur la base du prix net. C’est-à-dire que le prix d’achat de la cartouche de cigarettes sera déduit de notre remise nette. Pour bien comprendre le système, nous sommes commissionnés, nous n’avons pas la propriété du tabac dans nos établissements bien que nous l’achetions. Ce sont les fournisseurs qui restent propriétaires. En fait nous le consignions. Je ne pense pas qu’on retiendrait le même modèle pour une taxation de la vape au millilitre, en tout cas sur la propriété de la marchandise.
Pour essayer de faire simple sur les facilités de trésorerie, vu la valeur du tabac à cause des taxes, il existe tout un système de crédit afin de payer plus tard nos approvisionnements et ainsi dégager nos trésoreries. Que ce soit avec nos logisticiens ou avec des organismes de cautionnement qui sont bien utiles afin d’éviter de payer par chèque de banque la marchandise. Mais cela a nécessairement un coût financier.
Pour parler des fameux timbres fiscaux, je vois souvent cette inquiétude sur les réseaux, car le parallèle est fait avec quelques exemples européens où ces décisions ont été catastrophiques. Mais chez les buralistes, nous ne nous en occupons pas réellement en gestion. Et je pense que si taxe il y a, elle serait faite sur un modèle similaire. Ce sont les fournisseurs agréés qui l’appliqueraient sur leur prix de vente en BtoB et la reverseraient à l’état.
Tel que je me l’imagine, si une taxe était mise en place, elle serait directement impactée sur le prix de vente du fournisseur agréé au buraliste ou à la boutique spécialisée. Le Vapeshop ou le buraliste payerait au fournisseur (grossiste ou liquidier agréés) le prix d’achat plus la taxe. Le fournisseur reverserait la taxe à l’état. Si tel était le cas, la problématique, au-delà de l’augmentation du prix pour nos consommateurs, reposerait entièrement sur les fournisseurs agréés. Ceux-ci devraient certainement immobiliser de fortes sommes d’argent afin d’acheter ces « timbres » par avance. Ce qui est, de loin, une autre problématique, en laissant peut-être sur le carreau des structures plus modestes, mais qui ont tout de même une voix importante dans la vape française.
Dernière chose, nous avons l’obligation d’une déclaration d’inventaire lorsque l’état impose une évolution de la taxe. Nous devons donc payer le différentiel entre le nouveau et l’ancien prix. Je ne pense pas que cela soit transposable à la vape si, comme je le pense, la marchandise appartiennent au revendeur (contrairement au tabac)
OS Media : Quels avantages et quels inconvénients d’après vous si les mêmes lois s’appliquaient aux boutiques de vapotage ?
J-P Perot :
Déjà, comme j’ai essayé de le dire, je ne pense pas à une transposition pure et simple de notre modèle. Ce n’est pas possible au regard de la composition du secteur économique de la vape. Certains me trouveront naïfs, mais les personnes qui étudient cela pour nos décideurs savent parfaitement que la plupart des propriétaires de vapeshop en possèdent plusieurs afin d’assurer une certaine rentabilité.
L’inconvénient majeur serait indiscutablement la taxe. Pour nous, buralistes engagés dans la vape, et pour les boutiques, mais en premier lieu pour nos clients pour les raisons que j’ai évoquées. Ou dans tous les cas, l’instauration d’une accise même avec une taxe à 0 € qui nous ferait redouter à chaque rentrée le plan de loi de finances (PLF) de l’année suivante. C’est ce que nous, buralistes, subissons depuis tant d’années.
L’inconvénient, et je n’en ai pas parlé, c’est que taxation ne rime pas toujours avec régulation, mais plutôt avec contrefaçon… ou encore contrebande. Nous, buralistes, connaissons ce phénomène depuis des années. Phénomène qui s’est accentué au sortir du Covid. Alors, oui, on me dit que la taxe est acceptable pour le moment… Mais moi, je pense en premier lieu pour 2026 à mes clients en DIY, et ils sont nombreux. Alors j’en appelle à l’ingéniosité de nos fabricants si une taxe sortait même à 3 centimes le millilitre… le litre de base couterait 30 € de plus, sans compter la TVA qui viendrait s’appliquer sur cette taxe. Et sans prendre en compte les 50 centimes par booster hors TVA. Bref une hérésie…
Mais, je ne peux que penser qu’il y a un besoin de régulation de ce marché qui même s’il y encore tant de fumeurs à convaincre, est presque arrivé à maturité en France. J’aurai clairement préféré que ce ne soit pas l’objet d’un simple article dans ce projet de loi de finances, mais quelque chose de plus réfléchi. Mais le sujet vient sur la table car il y a une coïncidence entre la révision prochaine de la TPD au niveau européen et le besoin impérieux de remplir les caisses tout en allant dans le sens des associations « anti-nicotine. »
Alors oui, j’y vois tout de même une avancée… la seule… celle que ce produit ne soit vendu que par des personnes dont c’est le métier. Des personnes reconnues par nos institutions avec des obligations dont celui de la formation qui devra forcément aller plus loin.
Les 2 réseaux, plus de 25 à 26 000 professionnels avec un maillage à travers tout le territoire… Je pense que chacun est complémentaire. Avec quelques centaines de buralistes au départ qui ont « osé la vape », quelques milliers aujourd’hui à prodiguer les bons conseils. Une majorité qui propose une multitude d’activités et de services au profit de la population locale et qui sont plus sur une « Vape dépannage » avec une amplitude horaire impossible pour les boutiques.
Donc, oui les 2 ou 3 réseaux actuels se complètent : Boutiques spécialisées, buralistes très engagés dans la Vape, et le reste du réseau des buralistes. J’espère juste que ce modèle unique et reconnaissons-le, atypique sur le marché mondial de la vape, puisse perdurer.