Pour l’épisode 1 de notre reportage Tais-toi et fume, on vous emmène avec nous en Suède, découvrir “la méthode suédoise”, une première du genre au monde. Son combat : les produits de réduction des risques, entre snus, sachet de nicotine “pouche” et cigarette électronique. Ses résultats : 5 % de fumeurs désormais, pour plus du double de consommateurs de nicotine.
Sorti le 29 novembre 2023 sur YouTube | 27min 22s | Reportage
De Rémi Duff et David Hanin
Une production Oneshot Media, en collaboration avec la chaîne Origines
Avec Karl Fagerström, Bengt Hedlund, Johan Nissinen, Patrik Strömer, Victor Bryn-Jensen, Samuel Lundell, David Vilja, Stefan Mathisson et Bengt Wiberg
Pourquoi la Suède ?
Chaque année, ce simple geste tue 8 millions de personnes à travers le monde : allumer une cigarette pour la fumer. La combustion du tabac est la première cause de morts évitables de l’humanité.
Parmi tous les états membres de l’Union européenne, un seul pays fait exception : la Suède, qui enregistre le taux record de 5 % de fumeurs depuis 2023, atteignant ainsi avec 17 ans d’avance les objectifs fixés par l’UE.
Dans Tais-toi et fume 1, nous avons donc souhaité en savoir plus sur cette méthode suédoise qui semble porter ses fruits, mais reste curieusement peu connue et suivie par ses voisins.
Nous nous sommes ainsi envolés vers Stockholm, à la rencontre d’experts, de journalistes et de professionnels de santé. Tout comme à Bruxelles, au Parlement Européen, pour interroger Johan Nissinen, député suédois.
Et la réponse fut assez simple à trouver, il faut l’avouer : depuis des décennies, les Suédois utilisent des produits nicotinés sans combustion. Entre snus, sachets de nicotine “pouches” et cigarette électronique.
Le snus
Interdit partout ailleurs en Europe depuis 1992, le snus est un produit typiquement suédois, intimement lié à l’histoire du pays.
« Nous savons que le snus est arrivé par la France, il y a plusieurs siècles. Il s’agissait alors d’un produit sec à base de tabac moulu, qu’on absorbait par le nez. Quelque part au début du 19e siècle, peut-être même avant, des fermiers suédois ont appris à mélanger ce tabac avec de l’eau et du sel pour le placer sous la lèvre »
– Patrik Strömer, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
Au fil du temps, le snus a évolué et s’est démocratisé. Aujourd’hui, ce petit sachet en fibre végétale, garni de tabac humide, est très largement utilisé par la population, en remplacement de la cigarette de tabac fumé traditionnelle.
Le sachet “pouche” de nicotine
Dérivé du snus, le sachet de nicotine “pouche” a été inventé en Suède, au milieu des années 2010. Le format comme le principe reste les mêmes. Seule sa composition le distingue du snus, puisqu’il ne contient pas de tabac, mais de la nicotine et des arômes.
« Le sachet de nicotine a été inventé par un membre de l’industrie pharmaceutique, nommé Karl Fagerström. En somme, il a pris la nicotine utilisée dans les gommes et les patchs et l’a adaptée à l’usage que nous avons de la nicotine en Suède »
– Stefan Mathisson, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
Face aux profondes difficultés que ce psychologue et docteur en médecine comportementale, à qui l’on doit d’ailleurs également le fameux test de dépendance à la nicotine utilisé mondialement (1), continuait de constater chez les fumeurs en arrêt, il invente ainsi une nouvelle manière de s’éloigner de la combustion du tabac – et du goût tabac en lui-même.
Un combat du peuple pour la réduction des risques
Si de tels produits ont été facilement adoptés par la population, fortement sensibilisée aux dangers de la combustion, elle a tout de même du se battre et militer pour conserver ces alternatives sans fumée comme pour faire valoir leur pertinence.
En 1995 d’abord, lorsque la Suède se préparait à entrer dans l’Union européenne. Le snus était alors interdit partout en UE sauf dans le pays. Mais hors de question pour les suédois de se plier aux règles de l’Europe et de se détacher d’une méthode aussi efficace, qui n’avait montré aucune preuve de sa nocivité en plusieurs siècles d’existence.
« À cette époque, les politiciens suédois et européens ont réalisé que si on interdisait le snus au moment de l’entrée de la Suède en Europe, alors qu’un référendum était prévu, le résultat du référendum aurait été “non” à l’Europe »
– Patrik Strömer, dans Tais-toi et fume 1 : La méthode suédoise
« C’était déjà largement utilisé et personne n’a pu prouver que c’était plus nocif que les cigarettes, c’est pourquoi ça a été rejeté »
– Victor Bryn-Jensen, dans Tais-toi et fume 1 : La méthode suédoise
La Suède entrait alors en Europe sous la condition expresse de conserver le snus.
En 2022 encore, la Suède s’est battue pour faire annuler la loi d’interdiction des arômes qui pesait sur les produits du vapotage.
« Toutes les entreprises du secteur de la vape en Suède se sont rassemblées, ont formé un syndicat et travaillé contre nos politiques. Ils ont rassemblé les utilisateurs et il s’est passé la même chose qu’avec le snus : ils ont reçu beaucoup d’aide des consommateurs de snus et de sachets de nicotine pour faire entendre leur voix »
– Victor Bryn-Jensen, dans Tais-toi et fume 1 : La méthode suédoise
Au regard de l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement a ainsi fait marche arrière. Et les vapoteurs ont conservé ces arômes si chers à la réussite de leur sevrage.
« À ce moment-là, on a pu observer l’impact du choix du consommateur. Quand il choisit ce qu’il aime, alors les choses rentrent dans l’ordre. Les gens votent avec leur porte-monnaie pour ainsi dire. 85 % des ventes de e-liquide sont tout, sauf la fameuse saveur tabac »
– Stefan Mathisson, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
Des résultats tangibles sur la prévalence tabagique et la santé des Suédois
En Suède, ces alternatives à la nicotine ont eu raison du tabagisme. Alors que le pays compte un peu plus de 10 millions d’habitants, elle montre la prévalence tabagique la plus basse de l’Union européenne, et sans doute du globe : 5 % de fumeurs environ – contre 24 % en moyenne en Europe.
Ce, alors même que les cigarettes suédoises restent les moins chères de toute la Scandinavie !
« Statistiquement, le moyen le plus commun en Suède pour arrêter de fumer est le snus. Donc nous connaissons les faits : le snus est la première cause de la baisse du tabagisme, à un niveau si bas que l’Organisation Mondiale de la Santé elle-même déclare que nous sommes un pays non-fumeurs »
– Samuel Lundell, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
D’après les données relevées par le collectif Smoke Free Sweden, la population se tourne largement vers les produits sans combustion. Le pays compterait ainsi 23,6 % de consommateurs de nicotine – contre 24,9 % en moyenne en Europe.
Pourtant, la Suède dénombre également des taux de décès et de cancers les plus bas d’Europe. Preuve que la combustion est bien le seul ennemi à combattre et que, débarrassés de la fumée, les produits à la nicotine ne partagent en rien les dangers de la cigarette.
« Le plus important est que ce n’est pas nocif. C’est comme avec la caféine. Beaucoup de gens en utilisent et la prévalence est bien plus élevée qu’avec la nicotine. Et comme il n’y a pas d’effets nocifs de la caféine, nous acceptons son usage et la dépendance qu’elle crée. Je pense que nous devons voir la nicotine pure de la même façon : elle crée une dépendance, mais les effets nocifs sont infimes comparés à ceux de la cigarette »
– Karl Fagerström, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
Tais-toi et fume 1 : en résumé
Grâce au snus, aux sachets de nicotine et aux produits du vapotage, la Suède a réussi le pari de réduire drastiquement sa prévalence tabagique, à un niveau si bas qu’elle est aujourd’hui considérée comme le seul pays non-fumeurs au monde.
Un combat de longue haleine, qui se poursuit encore aujourd’hui en Suède, porté par une population bien informée et soucieuse de consommer de la nicotine autrement, à travers des moyens infiniment moins risqués que les produits du tabac fumé.
« Nous aurions pu atteindre ce plafond de 5 % de fumeurs 10 ans plus tôt si notre gouvernement avait eu le courage d’admettre que ces produits étaient moins nocifs que les cigarettes »
– Karl Fagerström, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
En définitive, la morale de l’histoire semble bien être celle-ci :
« Le mot magique est encore “tabac”, alors qu’on devrait faire la distinction entre tabac fumé et le reste. C’est ça la bonne formule »
– Bengt Hedlund, dans Tais-toi et fume 1 – La méthode suédoise
De quoi poser question quant à la position des autres pays membres de l’Union européenne : pourquoi préférer la répression à tout autre solution quand on dispose d’un tel exemple au sein même de l’UE ? L’Europe met-elle vraiment tout en œuvre pour lutter contre le tabagisme ? Tout va-t-il si bien, dans le meilleur des mondes ?
C’est ce qui nous a amené au second épisode de notre reportage Tais-toi et fume, en quête de plus amples explications…
Notes
(1) Du même nom que son inventeur, le test de Fagerström permet d’évaluer son niveau de dépendance à la cigarette.