Cet article est tiré du Magazine Oneshot #6
Président de SOS ADDICTIONS, le Pneumologue William Lowenstein est un ancien interne, chef de clinique et médecin des Hôpitaux de Paris. Suite à son travail auprès de toxicomanes contaminés par le sida dès 1983, il fait de la médecine et de la Santé des addictions son combat. Auteur de nombreux livres et plus de 80 publications médicales, il fonde en 1994 le centre Monte-Cristo spécialisé dans les addictions puis en 2001, la première clinique privée spécialisée dans la recherche et le traitement des addictions. En 2013 il crée le cabinet de consultation spécialisé en médecine des addictions et nutrition. William Lowenstein est décoré de l’ordre national du mérite et de l’ordre national de la Légion d’honneur.
Interview par Florent Biriotti
Retranscription : Julien Delhome
Photo © DR
On a l’impression que les médecins tabacologues ne sont pas consultés pour les prises de décisions législatives en ce qui concerne la vape. Quel est ton point de vue ?
William LOWENSTEIN :
Oui en effet. Au sujet des addictions, et notamment du tabac et de l’alcool, la France reste un pays très en retard en matière de santé publique, pour sa réflexion comme pour sa méthode, et ce malgré ses 130 000 morts par an.
La comparaison pourrait se faire avec cette épidémie de Coronavirus. Ce que l’on est capable de faire pour le SRAS-CoV-2 pour les séniors, on pourrait le faire pour les séniors tabagiques et alcoolodépendants. Pour qu’ils ne perdent pas 10 à 15 ans de vie. Cette comparaison souligne cette énorme difficulté à imposer « la médecine des addictions » comme une médecine prioritaire. Que l’on ne soit pas bon en santé publique, la Covid l’a confirmé. Même avec une volonté politique affirmée, qui n’était pas évidente, on n’a pas fait mieux que les États-Unis à population égale.
Est-ce que cela va créer un précédent, et que les politiques vont un peu plus écouter les médecins à l’avenir ?
William LOWENSTEIN :
Déjà, ce n’est qu’avec la 2e vague que l’on commence à parler de santé mentale. On a plus de psychiatrie classique avec des états dépressifs et anxieux. Hélas, on revient encore à cette idée que l’addictologie, non seulement est considérée comme une sous-spécialité, mais en plus a du mal à se transformer. Je ne suis pas très optimiste par ce que j’ai vu cette année sur la vape. J’ai vu plus de nouvelles destructrices, plus de résistances, de volontés européennes ou étrangères de démolir la vape, plutôt que de la considérer comme un espoir confirmé, une réalité pour sortir du tabagisme tueur. Cette crise a mis en priorité le sanitaire jusqu’à présent. Et ce malgré la mise à jour des discussions difficiles entre scientifiques et malgré l’ultracrépidarianisme, c’est-à-dire cette capacité que nous avons tous, mêmes médecins, à donner des opinions tranchantes sur des sujets où l’on est peu ou pas compétents. Cela a été quand même, au combien exposé au public ! Avec une machine médiatique qui a toujours besoin d’entretenir les débats contradictoires sur les plateaux en allant chercher parfois des médecins délirants. Le diplôme n’a jamais protégé, ni des maladies physiques, ni des maladies mentales. Et l’on a eu quelques phénomènes, même dans notre milieu médical, à qui l’on a tendu le micro de manière redoutable. Finalement, je me dis que c’est comme ça aussi sur les sujets qui nous intéressent. Mon Dieu que les médias ont plaisir à donner souvent le micro à n’importe qui, même s’il dit un peu n’importe quoi, pourvu que cela fasse un peu de buzz…
D’ailleurs, toi, tu n’es pas intervenu dans les médias ?
William LOWENSTEIN :
J’ai été sollicité dès la première vague, que ça soit, pour ne pas les nommer, par BFM, CNEWS, CANAL +, LCI… Et à tous je leur ai dit : « Mais invitez des gens sérieux quoi ! » Finalement après la 1ère vague, j’ai presque regretté de ne pas avoir répondu oui, pour limiter les dégâts, pour limiter la casse, tellement j’ai entendu de bêtises.
Comment intègres-tu la cigarette électronique à ton quotidien de tabacologue ?
William LOWENSTEIN :
Il y a 3 situations caricaturales.
La 1ère c’est démolir les peurs sur la vape. Quand on te pose une question sur la vape, c’est plus concernant les risques que concernant les avantages. Dans un premier temps la réponse consiste à rétablir ce que je pense être la vérité sur ce sujet, c’est-à- dire l’extraordinaire réduction des risques.
Dans un 2e temps, c’est de faire comprendre que les vrais spécialistes pour l’instant sur le sujet ne sont pas dans le corps médical, mais dans des groupes actifs, militants, organisés. On a la chance en France d’avoir des organisations pour faire appel à des professionnels sur le terrain, ce qui tombe bien, car on n’avait pas besoin forcément de médicaliser toutes les démarches. Il faut faire accepter à la personne qui vient vous voir, en tant que médecin spécialiste, que vous avez extrêmement confiance dans la boutique en bas de chez vous. N’ayez aucune hésitation, vous aurez de meilleurs conseils par la personne dans cette boutique spécialisée que par moi, et surtout vous pourrez passer au stade pratique, avec ce que cela veut dire d’évolution personnelle, d’adaptation, quasiment de « travail d’orfèvrerie », comme parfois nous le faisons nous, avec certains médicaments. Cet « artisanat » oh combien précieux, peut-être très très bien fait par des gens qui certes, ne sont pas médecins, mais qui sont juste meilleurs que les médecins. Ce système français est à mon avis, le meilleur système sur ce sujet-là.
Le 3e temps c’est faire un point par rapport à l’addiction, qui est rarement en ce qui me concerne, le tabac tout seul. On a des vecteurs comme la cocaïne, l’alcool… Qui sont non seulement des vecteurs de perte de contrôle, mais aussi d’ultra appétence nicotinique. On va suivre les évolutions et essayer de ne pas perdre le patient en lui disant juste « Je ne suis pas le meilleur sur la vape en particulier, mais je peux vous aider sur ce qui va faire vecteur de difficulté d’adhésion à la vape ou vecteur d’appétence ultra- nicotinique. »
Est-ce que tu vois une évolution de l’image de la vape chez ta patientèle, où en est-on aujourd’hui ?
William LOWENSTEIN :
Après avoir souvent dû déconstruire les « fakes », et dieu sait qu’il n’en manque pas, je vois 2 choses dont une qui m’interpelle pour différentes raisons. Déjà, il y a une meilleure image pour 2/3 de ma patientèle, qui ne se laisse pas intoxiquer par les chaînes d’infos en continu. La difficulté pour moi, parce que c’est un sujet délicat au sens le plus stratégique de santé des addictions, c’est la discussion entre vape et tabac chauffé. Pour certains chez qui la vape n’a pas marché et qui ont réussi à arrêter la cigarette avec le tabac chauffé, tu dois expliquer la réduction des risques de la vape par rapport au tabac chauffé, mais sans détruire ce qui est une avancée par rapport à la cigarette classique. Il ne faut pas oublier un des fondements de la réduction des risques qui est le « step by step ». Il est donc évident que je ne vais pas décourager ce patient, mais je dois quand même passer à un traitement de substitution plus protecteur. C’est pour moi une situation de plus en plus fréquente. Je considère le tabac chauffé comme une étape de la réduction des risques, qui doit mener à une étape suivante, qui pour moi serait la vape ou l’arrêt. Ma question « torturante » actuellement est : « Ne doit-on pas, malgré nos réticences, positionner le tabac chauffé dans nos traitements de réduction des risques, sans de ce fait être menacé d’alliance avec Big Tobacco ? ».
Quel est, selon toi, le top 3 des réticences de tes patients pour passer à la vape ?
William LOWENSTEIN :
Cela dépend clairement des âges. De 18 ans à 30 ans, il faut juste démolir les craintes sur la vape. Ils y sont généralement très favorables. Ils ont parfois des questions « écolo » du type : « Qu’est-ce qu’on fait des cartouches ? Est-ce qu’on ne pollue pas la planète ? ». Il n’y a pas de réticences majeures chez la jeune population, surtout si tu soulignes en plus l’aspect économique.
Sur des personnes de plus de 40 ans, notamment les 60-65 ans, qui fument depuis longtemps, il faut aussi se battre contre l’intoxication psychologique de l’image de la cigarette : l’image de James Dean, du cow-boy Marlboro… Des gens intoxiqués un peu à la « Mad Men » (NDLR Série TV sur les années 1960 où l’on voit que le tabagisme et l’alcoolisme étaient beaucoup plus courants à l’époque). Pour ces patients-là, il y a une réticence pour quelque chose qui serait de la modernité, une adaptation à une nouvelle technologie et qui changerait leurs habitudes. Il y a un manque de personnages iconiques qui vapent et du coup, l’image de la vape a du mal à basculer vers une image positive.
Dernier point, pour ceux qui ont des soucis cardiovasculaires et pulmonaires, il faut insister sur le gain médical. Il faut reprendre encore une fois la destruction des « études à la con » et aborder les améliorations cliniques apportées par la cigarette électronique. Je leur dis par exemple : « Écoutez, rien que sur le souffle. Je ne vous parle pas du goût, de l’odorat ou du cœur, même si on fera les bilans… On se revoit dans 1 mois et on reparle de votre sensation de souffle. Et vous verrez qu’avec la vape, vous avez une récupération qui va vous parler. Alors, imaginez que ce sera la même chose en matière cardiovasculaire ».
Est-ce que tu as des patients, à qui tu ne proposes pas la vape ?
Alors oui, ceux qui m’ont dit qu’ils n’aimaient pas, que ça les faisait tousser et qui ne répondent même pas à la question quand je leur demande ce qu’ils ont utilisé. Pour les « J’aime pas, j’aime pas », on ne peut pas faire la psychanalyse de leur « j’aime pas ». On essaye d’autres substituts.
Ce qui pose problème ce n’est pas la nicotine ni le tabac, c’est la combustion ! Le modèle d’administration de la nicotine n’est pas bon avec une cigarette. Je fais donc un petit laïus de 3 à 5 minutes sur la combustion, en leur disant un truc rigolo, du style : « La laitue n’est pas toxique, et c’est excellent en salade, mais imaginez que vous la fumez, là elle devient toxique ! ».
Même si tu l’as déjà abordé, que penses-tu, plus précisément, du traitement médiatique de la vape ?
William LOWENSTEIN :
L’ultracrépidarianisme, encore une fois ! Tout le monde a une opinion tranchée en étant peu informé. Et le fait qu’une grande partie des médias recherche plus le buzz que la vérité. Dur dilemme pour les journalistes d’aujourd’hui qui doivent faire coexister la lutte contre les fake news et les punchs lines qui font des vues.
Que penses-tu de la situation du cannabis en France, notamment après la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne qui s’oppose à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du cannabidiol (CBD) ?
William LOWENSTEIN :
C’est vraiment une bonne nouvelle, cela ne veut pas dire, loin de là, que tout soit gagné. Encore une fois, on n’est pas un pays très fort en santé publique. Il y a quand même des commissions qui font un très bon travail. Autour du cannabis thérapeutique, à partir de l’excellent travail d’Alexandre Oullet ou sur le cannabis bien-être, avec les huiles, les crèmes et les nutriments au CBD, et là le rapport européen est très important. Et puis tu as la question du cannabis récréatif avec un changement de législation. Elles travaillent, à mes yeux, dans la bonne direction.
Cela dit la France sur ces aspects-là a toujours fonctionné avec 2 méthodes détestables.
C’est-à-dire que tu as des personnes qui essayent de travailler sérieusement et qui font un rapport, qui remonte au 1er ministre, qui lui va décider pour des raisons politiques ou temporelles de ne pas tenir compte de l’excellent travail qui a souvent été fait. L’autre caractéristique, c’est évidemment l’aspect politique « ministère de l’Intérieur » qui l’a toujours emporté, jusqu’à présent, sur l’aspect politique « ministère de la Santé ». Ceux qui décident d’un vrai problème de santé publique, mais aussi d’un vrai problème social et de sécurité publique, c’est bien plus le ministère de l’Intérieur et le 1er ministre que le ministre de la Santé. Est-ce que la crise de la Covid actuelle va changer ça ? C’est une superbe question.
Que souhaiterais-tu voir comme améliorations en vape au niveau matériel ou e-liquide ?
William LOWENSTEIN :
Les sels de nicotine sont un vrai plus pour les débutants et les pods à cartouches fermés apportent une maniabilité supérieure pour une partie de la population. Si ces pods pouvaient améliorer leur impact écologique et économique, ce serait une évolution souhaitable.
Mais les pods à cartouches fermées ne sont pas l’unique solution, il ne faut pas oublier aussi une partie de la population qui adore faire ses préparations, ses mélanges (même si cela doit être régulé). Ça rentre pour eux dans l’importance de la thérapie.
Quelle sera la place de la cigarette électronique dans 10 ans selon toi ?
William LOWENSTEIN :
Cela dépend de nos stratégies actuelles. Je redoute qu’elle soit limitée à la situation actuelle, avec de fervents défenseurs, avec un noyau dur convaincu et militant, et que si on ne pense pas de nouvelles stratégies, elle soit au même niveau dans 10-15 ans.
Merci à William Lowenstein pour son temps et son implication. On espère le retrouver dans notre émission Live Oneshot en 2021.