Voici un article tiré du ONESHOT Magazine #5 : Questions au Doc’. Pour notre dossier spécial 10 ans de vape, nous avons posé nos questions à Bertrand Dautzenberg, professeur et médecin dans le service de pneumologie de l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris. Auteur de plusieurs livres sur le tabagisme, il enseigne la pneumologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie.
Par Florent Biriotti
Professeur Dautzenberg, comment a évolué votre regard de médecin sur l’e-cigarette en 10 ans ?
De 2010 à 2012, je regardais ça de loin, mais à peine, ce n’était pas très visible. Comme médecin, je ne m’y intéressais pas. C’est à partir de 2012 que j’ai commencé à me pencher sur la question. Fin 2012, nous avons fait le rapport de l’OFT (Office français de prévention du tabagisme) pour voir ce qu’il en était de ce nouveau produit qui arrivait, sans trop savoir si c’était bien ou pas. Il y avait des effets positifs et des effets négatifs, nous voulions faire le bilan et étudier les choses de près. L’élément frappant est arrivé en mars 2013. Pour la première fois, une publication montre que la vape est capable de libérer de la nicotine à dose vraiment efficace dans le sang, un peu comme les cigarettes. C’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que toutes les compagnies de tabac se sont mises à acheter au moins une entreprise de vape, sans trop savoir… Si c’était pour l’étudier, ou pour la développer ou pour la couler. Ils avaient compris que c’était une chose à laquelle il fallait s’intéresser.
Avec le rapport de l’OFT que nous avions remis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine en mai 2013, nous avions fait le point sur tous les avantages : beaucoup moins toxique que le tabac, le risque d’addiction beaucoup moins grand qu’avec la cigarette, pas de combustion. Des points néanmoins restaient non encore étudiés comme le vapotage passif et l’effet passerelle chez les jeunes.
En conclusion, c’était un produit qui, en tout état de cause, était pire que de ne rien prendre, sur le plan médical, mais beaucoup mieux que la cigarette. Si c’était un produit de remplacement de la cigarette, c’était un bon choix, si c’était un produit d’entrée à la cigarette, cela pouvait poser un problème.
On voit avec l’évolution, 7 ans après, que la vape n’est pas un produit d’entrée dans le tabac chez les adultes.
Les chiffres indiquent toujours que chez les vapoteurs, 99 % étaient fumeurs. C’est plutôt un produit de sortie et il y a beaucoup d’éléments qui le montrent.
Pour les adolescents, malgré certaines études un peu malhonnêtes, la vape n’est pas un produit d’entrée massif. Il ne faut bien sûr pas faire de promotion chez les jeunes, mais sous réserve d’une réglementation raisonnable, la cigarette électronique est quelque chose de tout à fait acceptable.
Quand nous avons remis le rapport à Marisol Touraine, disant qu’il ne fallait pas le vendre aux enfants, et qu’il fallait tout de même une petite réglementation, car c’était un produit nouveau, que c’était toujours meilleur que la cigarette, on a vu s’ouvrir le lendemain ou le surlendemain des centaines de boutiques. D’une part, à cause du rapport et d’autre part, parce que les autorités sanitaires s’occupaient du produit et c’est plutôt rassurant pour le marché.
Fin 2013, il y a eu la discussion au parlement de la directive européenne 2014/40/UE (la TPD). Lorsque j’ai remis mon rapport à Marisol Touraine, c’était clairement la pharmacie qui voulait reprendre le produit. D’ailleurs, les textes sur la cigarette électronique ont été écrits par des lobbyistes pharma, on peut y retrouver le jargon des pharmacologues.
Il y avait aussi à l’époque un avis sur la nicotine qui était vue comme dangereuse, ce qui était basé sur une étude qui datait de 1930, ou je ne sais plus quand, qui était complètement non pertinente. De ce fait-là, il ne fallait pas qu’il y ait plus de 1 ml de nicotine dans les flacons. J’ai beaucoup râlé après cela. J’ai demandé 5 ml, on a réussi à obtenir 2 ml. Dans la traduction française de la directive pour les vapes remplissables, il y a une virgule qui a été changée par rapport à la version anglaise, ce qui permet d’avoir des réservoirs supérieurs à 2 ml.
La commission était très dubitative et très prudente envers cette directive. Le vote a d’ailleurs été très très limite. Le commissaire de l’époque avait une volonté de la couler. En France, c’est l’opposition qui a fait pencher la balance alors que la plupart des socialistes, qui étaient pourtant comme Marisol Touraine au gouvernement, avaient voté contre. On était en dehors des côtés politiques, on était dans des passions qui sont restées et se sont exacerbées. Au niveau de la science européenne, notamment des lobbyistes, il y avait un acharnement contre la vape. On en voit encore les effets aujourd’hui avec les blocages, peu explicables, sur les arômes.
À partir de là, il y a eu le développement avec l’AFNOR, avec l’AIDUCE qui a toujours été très active, avec un langage qui me plaisait bien en tant que médecin, assez raisonnable. C’est par exemple l’AIDUCE qui avait exigé le bouchon de sécurité enfant.
À l’AFNOR nous avons été invités par la commission du tabac, avec que des cigarettiers qui nous ont dit qu’il fallait 5 ans pour faire un premier truc. Comme ce n’était pas possible pour nous, 60 millions de consommateurs et la DGS ont insisté pour qu’une commission voie le jour afin de créer une réglementation. Ce fut une sorte de forum d’acteurs compétents, avec des laboratoires toxicologiques, des aromaticiens, des gens qui échangeaient leurs savoirs dans tous les sens. Nous avons beaucoup appris ensemble la première année.
Grâce à cela, en 3 ans les premières normes sont sorties, qui sont d’ailleurs les seules complètes au niveau mondial.
Depuis que je fais des consultations, je n’ai pas eu de déception médicale avec la cigarette électronique. Je n’ai jamais vu d’accident de la vape.
Concernant les morts d’adolescents aux États-Unis, le fait qu’il n’y ait pas de produits commerciaux propres, les gens utilisent des produits « sales ». Si ce n’est pas légal et contrôlé par la loi, alors les consommateurs font des bricoles, et parfois inappropriées. L’Europe, avec la Directive sur le Tabac, qui a plein d’inconvénients, nous a quand même, grâce à l’enregistrement des produits, mis à l’abri de ce genre de risques et d’accidents.
Sur l’évolution tabagique chez les jeunes, il y a un lobbying que je n’arrive pas à comprendre, même avec les revues. Le grand jeu de la plupart des études américaines est de comparer les jeunes qui vapotent à ceux qui n’ont rien pris et en excluant tous ceux qui ont déjà pris une cigarette. Dans ces conditions, on montre que ceux qui vapent vont deux fois plus être fumeurs que les autres. Il ne faut pas non plus éliminer l’effet concurrence de la vape sur le tabac.
Professeur Dautzenberg, qu’est-ce qui vous a convaincu du bienfait de la vape pour les fumeurs ?
La première chose qui m’a convaincue, c’est lorsque France 2 voulait en faire un sujet. Cela tombait bien, j’avais reçu une dame qui travaillait à côté d’un vapoteur et qui se disait victime du vapotage passif. J’ai donc invité l’équipe de France 2. Nous avons cherché quelqu’un pour vapoter du liquide en 20 mg/ml et reproduire l’expérience avec la patiente. Nous avons trouvé une secrétaire qui fumait 1 paquet par jour depuis des années, mais qui ne connaissait pas du tout la cigarette électronique. Elle a pris une bouffée et a dit « Mais c’est bien ce truc-là ! ». Après l’expérience, elle a gardé la vape et a arrêté de fumer. C’est quelqu’un qui, la minute d’avant n’avait pas décidé d’arrêter, et la minute d’après avait arrêté de fumer.
Ce qui m’a convaincu ensuite, ce sont mes consultations où je propose beaucoup la vape en plus des substituts nicotiniques.
J’ai travaillé aussi 2 ans à l’Hôpital Marmottan (Centre de soins et d’accompagnement des pratiques addictives) où l’on distribuait gratuitement des cigarettes électroniques. Cela marchait extrêmement bien et les patients adoraient ça.
Ce que j’ai appris aussi avec la vape, c’est que si l’on veut qu’elle marche, il faut qu’elle plaise.
Je demandais aux patients de noter le ressenti de leurs premières bouffées de cigarette électronique sur une échelle de 1 à 10. Lorsque la note était bonne, ils arrêtaient instantanément. Ceux qui notaient au plus bas, continuaient de fumer. Il fallait chercher un autre e-liquide, un autre matériel qui leur conviendrait plus. D’ailleurs, j’ai un retour de quasiment 1 patient sur 10 au niveau de l’embout buccal (le drip tip) qui n’offre pas de sensation agréable pour eux.
Comme beaucoup, au début je trouvais étranges les arômes bonbons, fruités… On me disait que c’était pour les enfants. Pourtant, dans mes premières consultations, j’ai eu un chauffeur routier avec un cou de taureau et 110 kg de muscle qui prenait de la barbe à papa.
En résumé, tout ce que j’ai appris sur l’efficacité de la vape, c’est à mes patients que je le dois.
Les études honnêtes qui comparent la vape avec rien et le tabac prouvent que la cigarette électronique a une position intermédiaire. Mais sa position n’est pas au milieu, elle est plutôt basse en termes de toxicité. On parle de 95 % moins nocive, certains disent que c’est moins, moi je pense que le pourcentage est plus élevé.
La vape ne marche que si elle est facile et sympa. Le plaisir est obligatoire.
Pour certains médecins encore, se soigner en se faisant plaisir, ça ne passe pas. C’est comme du temps où il fallait souffrir pour accoucher.
À noter qu’il faut dissocier les appareils de tabac chauffé de la vape, car les pics de nicotine du tabac chauffé, comme la cigarette, rendent addict. Alors que la nicotine de la cigarette électronique a une courbe d’absorption beaucoup plus plate, ce qui diminue l’addiction.
Professeur Dautzenberg, pouvez-vous mesurer l’impact de la vape en 10 ans ?
Je l’avais mesuré sur l’initiation du tabagisme chez les jeunes et je vois que cela continue à s’effondrer.
Chez les fumeurs, c’est un produit de sortie du tabac, qui est massif et qui est maintenant accepté à peu près partout. Il y a encore le CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens français) qui déconseille la vape chez les femmes enceintes. C’est un peu n’importe quoi… Car bien sûr il ne faut pas prendre de nicotine lorsque l’on est enceinte, mais si l’on en prend, il vaut mieux prendre celle de la vape que de la cigarette.
En résumé, la vape est un produit qui a changé l’idée de l’arrêt du tabac.
Cela a même changé ma façon de conseiller les autres substituts nicotiniques. Je note maintenant un plus large choix en saveurs pour les gommes à mâcher sur mes ordonnances. Avec l’expérience, je propose aussi pour certains des sels de nicotine pour le matin au réveil et de quoi faire de plus gros nuages avec moins de nicotine s’ils sont « en soirée après 3 bières ».
Professeur Dautzenberg, en 10 ans, comment le regard des médecins a évolué par rapport à la vape ?
Pour les médecins, il y a maintenant une tolérance qui est bonne, sauf chez certains extrémistes. Je ne vois pas pourquoi les médecins ne devraient pas la conseiller. Il devrait d’ailleurs avoir une cigarette électronique vendue en pharmacie, comme pour les brosses à dents. C’est quelque chose qui rassurerait, s’il y avait une vape « vendue sur ordonnance ». Le produit pourrait être pharmaceutique et remboursé, mais il ne faut surtout pas qu’il soit cantonné à la pharmacie, car cela serait la « cata ».
Professeur Dautzenberg, que diriez-vous aujourd’hui à un généraliste qui ne saurait pas quoi penser de la vape ?
Je leur dirais d’écouter leurs patients, car leur expérience persuade plus que le reste. C’est au consommateur d’éduquer tout le monde, sans être trop excessif ni se comporter comme des « anarchistes libertaires ».
Professeur Dautzenberg, pensez-vous qu’il y ait encore une menace en 2020 que la vape disparaisse ?
Non ! Pour moi quand la vape disparaîtra c’est qu’il n’y aura plus de fumeur et là, on a encore un peu de marge.
Actuellement les menaces principales sont :
La taxation. S’il y a une taxation trop forte, cela ne va pas marcher.
L’interdiction des arômes. C’est une bêtise. Les interdire dans le tabac par contre, c’est très bien.
Professeur Dautzenberg, avez-vous un avis sur l’évolution des e-liquides depuis 10 ans ?
Les e-liquides sont mieux fabriqués et l’on sait ce qu’il y a dedans maintenant. Quand on a un liquide en 12 mg de nicotine, on sait qu’il y a 12 mg dedans. Ce qui est gênant d’ailleurs, c’est que les mesures de dosage de nicotine dans le processus de fabrication (par pesée) sont bien meilleures que les mesures de contrôle qui n’utilisent pas le même processus et peuvent avoir une marge d’erreur entre 10 et 20 %.
Il y a eu une diversification des produits en fonction de l’utilisation et c’est une bonne chose. L’apparition des sels de nicotine en est un bon exemple.
Professeur Dautzenberg, qu’est-ce qu’une bonne boutique pour vous en 2020 ?
Une bonne boutique a un peu de temps pour s’occuper des clients. Le retour d’expérience de mes patients est assez bon concernant les boutiques en général. Je leur conseille d’éviter les buralistes qui n’ont souvent pas le temps nécessaire à leur consacrer.
Professeur Dautzenberg, quelles améliorations imaginez-vous pour les 10 années à venir pour ce secteur ?
Je n’ai pas d’idées, je ne suis pas un innovateur, je suis un observateur. Ce qu’il faudrait c’est accrocher les fumeurs qui ne veulent pas encore passer à la cigarette électronique. Faire par exemple un kit de démarrage avec plusieurs embouts (drip tip) différents.
Que les gens n’aient plus peur de la nicotine et ne veuillent pas diminuer trop rapidement.
D’autant plus que certaines études récentes prouveraient que la nicotine diminuerait de 50 % le risque d’attraper la Covid19. La fumée de cigarette par contre aggrave les cas de Covid.
Merci Professeur Bertrand Dautzenberg pour cette interview et votre temps.